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Parmi les critères de diagnostic de l’autisme présents dans les classifications CIM-10 et DSM-5, les altérations dues à la communication et les interactions sociales constituent un des points clés du fonctionnement des personnes autistes.

 

 

Communiquer, ca n’est pas simplement émettre et recevoir un message, cela relève d’une réalité bien plus complexe qui demande de savoir prendre en compte un nombre important d’éléments : le choix des mots, le langage corporel, l’observation des signes non verbaux émis par l’autre, le timing entre les tours de parole, le contenu de la communication…

Les altérations de la communication et des interactions sociales se traduisent par des comportements particuliers que nous allons tenter d’expliquer :

  1. Une altération des comportements non verbaux
  2. Une altération du développement et du maintien des relations
  3. Une altération de la réciprocité sociale et/ou émotionnelle

Il est à noter qu’environ 50 % des personnes autistes n’ont pas accès au langage parlé, certains enfants autistes accèdent au langage plus tardivement que les enfants ayant un développement normal et d’autres (syndrome d’Asperger) y accèdent parfois plus tôt. Il y a une multitude de profil de personnes autiste concernant la communication et les interactions sociales. Si l’accès au langage diffère selon ces différents profils ou types d’autisme, la communication et les interactions sociales présentent toujours un caractère particulier au regard des personnes non autistes et ce quelque soit le niveau intellectuel de la personne.

 

Une altération des comportements non verbaux

Les comportements non verbaux regroupent tout ce qui n’appartient pas au langage parlé/verbal : les gestes, l’intonation, le regard, les expressions du visage…

L’utilisation du regard pour amorcer ou réguler les interactions est absent ou diffère de l’utilisation qu’en font les personnes non autiste : regard périphérique (la personne regarde de côté au lieu de regarder son interlocuteur dans les yeux), regard qui ne se fixe pas sur les personnes ou non coordonné avec les autres signaux sociaux.

Les expressions du visage peuvent être incohérentes avec la situation (sourire lorsqu’une personne pleure), elles peuvent être atténuées ou inexistantes (donner l’impression que le visage est figé comme déconnecté du contexte) ou au contraire les expressions peuvent être exagérées (faire les gros yeux en mettant les mains devant la bouche comme si on avait commis un énorme impair alors que l’on a simplement fait tomber un papier sans importance, rire trop fort en exagérant les contour de la bouche…). Accorder les expressions du visage avec son propre état émotionnel ou celui d’autrui ainsi que l’adapter à l’environnement demande souvent un effort conscient pour les personnes autistes, là où les personnes non-autistes font appel à des compétences qui sont innées. Les personnes autistes doivent « mettre » une expression sur leur visage.

Les gestes du corps qui accompagnent les mots, notamment les mouvements des bras et mains peuvent aussi présenter des caractéristiques particulières chez les personnes autistes. Il y a parfois une absence ou une moindre utilisation des mouvements des bras pour appuyer les éléments de langage. Lorsqu’il existe des gestes pour accompagner le langage, ils ne sont pas de nature empathique ou émotionnelle.

L’intonation peut être monocorde avec peu de variation dans le ton de la voix de manière générale et des difficultés à adapter le ton au contexte : avoir une voix triste ou joyeuse selon les interactions immédiates. Les observations montrent également des altérations dans le volume de la voix : parler soit trop fort, soit pas assez fort.

Léo Kanner a fait les observations suivantes concernant le cas numéro 11 Elaine dans son article parut en 1943 :

 

Her langage always has the same quality. Her speech is never accompanied by facial expression or gestures. She does not look into one’s face. Her voice is peculiarly unmodulated, somewhat hoarse; she utters her words in an abrupt manner.

 

Traduction libre : son langage a toujours la même qualité. Ces paroles ne sont jamais accompagnées par des expressions faciales ou des gestes. Elle ne regarde pas le visage d’autrui. Sa voix manque particulièrement de modularité, d’une certaine manière rauque; elle prononce ses mots d’une manière abrupte.

Tous ces éléments issus des comportements non verbaux sont pourtant essentiels pour la communication et les interactions sociales. Sans eux, il manque une partie du sens qui résulte de l’échange entre les personnes.

 

Une altération du développement et du maintien des relations

La communication et les interactions sociales étant différentes chez les personnes autistes, cela occasionne des difficultés dans le développement et le maintien des relations avec autrui.

Afin de tester le degré d’altération des relations plusieurs types d’exercices peuvent être menés durant les tests par le clinicien :

  • pour les enfants il s’agit principalement de jeux avec du matériel permettant d’évaluer si le comportement social de l’enfant est le même que celui observé lors du développement normal d’un enfant d’âge similaire. Cela comprend : la capacité à déceler les indices non verbaux chez autrui, le degré de spontanéité et de flexibility du jeu, les méthodes de régulation des interactions…
  • pour les adultes il s’agit d’engager la conversation autour de thématiques particulières comme l’amitié, les expériences sociales et les habiletés sociales.

Voilà le type de question qui peut être posées pour explorer le périmètre des relations sociales :

  • Qui sont tes amis ?
  • Pourquoi sont-ils tes amis ?
  • Quelles sont les choses que quelqu’un fait pour être amical ?
  • Comment te fais-tu des amis ?
  • Qu’est-ce qui fait de toi un bon ami ?

Les personnes autistes ont généralement moins d’amis, passent moins de temps avec et sur une durée plus courte que les personnes non-autistes. Elles ont aussi tendance à lier des relations plus facilement avec des personnes plus jeunes ou plus âgées qu’elles.

Les difficultés dans le domaine de la communication et des interactions sociales entrainent un appauvrissement des relations et les personnes autistes expriment souvent un sentiment de solitude important et le regret de ne pas avoir d’amis ou d’en avoir trop peu.Les comportements classiques permettant l’amitié comme le partage, la réciprocité ou la coopération ne sont pas naturels, entrainant une maladresse sociale.

Les enfants autistes jouent de manière idiosyncrasique, c’est à dire qu’ils ont leur propre façon de jouer à un jeu, celle-ci est souvent peu conventionnelle et freine l’entrée en relation avec l’autre. Au lieu de jouer à la poupée en imitant des scènes de vie quotidienne, comme donner à manger ou laver un bébé, les enfants autistes vont préférer aligner les poupées, les ranger, les classer dans un ordre précis correspondant à leur propre logique.

Pour les enfants et adultes ayant réussis à cultiver une amitié ou une relation amoureuse il est souvent compliqué de la maintenir dans le temps par manque d’hanbiletés sociales.

 

Une altération de la réciprocité sociale et/ou émotionnelle

Les personnes autistes  peuvent avoir des difficultés à identifier les rôles d’émetteur de récepteur lors d’une conversation avec autrui. C’est ainsi que parfois, elles ne répondent pas à une question qui leur est adressée car elles n’ont pas compris qu’elles en étaient l’interlocuteur principale et qu’il était attendu qu’elles parlent en retour. Cela peut donner l’impression qu’elles ne sont pas intéressées par la conversation alors que ca n’est pas le cas : elles n’ont simplement pas compris que la phrase s’adressait à elles.

Les personnes autistes font aussi peu de commentaires sur les propos tenus par leur interlocuteur. Elles ne donnent pas d’information sur leur niveau de compréhension ou d’incompréhension d’un message et appuient peu les propos des autres par des relances ou des phrases de confirmation. La communication et les interactions sociales donnent alors l’impression d’être à sens unique et la personne autiste semble être un récepteur passif.

Elles peuvent rencontrer des difficultés à sélectionner l’information pertinente parmi plusieurs proposées dans une conversation et ont tendance de ce fait à trop développer un sujet alors que le contexte ne s’y prête pas ou au contraire pas assez. Elles peuvent répéter plusieurs fois une même information.

Les personnes autistes ont des difficultés à adapter le style de communication et/ou le niveau de langage. Elles peuvent être trop polies ou formelles avec des proches et être familières avec l’instituteur ou leur responsable hiérarchique.

L’amorce du langage est difficile : démarrer une conversation, savoir comment initier l’interaction demande un effort de réflexion et n’est pas naturel.

Les conversations en groupe sont plus difficiles à appréhender que les conversations en tête à tête. Dans une telle situation la personne autiste semble intervenir de manière impromptue, sur des sujets sans rapport avec la conversation principale ou sur des sujets en décalage avec la conversation (par exemple le groupe parlait de voiture, puis du temps qu’il fera demain et la personne autiste va placer une phrase sur les voitures bien après que le sujet ait changé). Si les conversations de groupe sont trop difficiles à gérer, la personne peut se mettre en retrait et ne pas ou peu participer.

L’utilisation du langage est écholalique (répétition de mots ou phrases entendus précédemment et utilisés plus ou moins à propos au sein des conversations) et ce quelque soit le niveau intellectuel de la personne. L’écholalie peut être immédiate : répéter un mot ou une phrase que la personne vient juste d’entendre, ou elle peut être différée : le mot ou la phrase est répété plus tard, parfois hors contexte. Les personnes autistes peuvent utiliser des mots, des expressions ou des phrases complètes sans en comprendre réellement le sens. Elles peuvent faire illusion car elles ont compris le contexte général, par exemple utiliser tel type d’expression lorsqu’une personne est triste, cependant elle ne comprenne pas forcément le sens  des mots ou phrases utilisés.

La compréhension et l’utilisation des notions implicites ou des sous-entendus est également complexe pour les personnes autistes et rend la communication et les interactions sociales difficiles. Dans la vie quotidienne il y a tellement de sous-entendus que les personnes non-autistes ne se rendent même pas compte à quel point elles en utilisent. Les personnes autistes ont une utilisation pragmatique du langage ainsi elles ont tendance à prendre les informations au premier degrés. Cela occasionne des difficulté de compréhension de l’humour, des sous-entendus ou de toute information du langage qui n’est pas immédiatement accessible et dont le sens doit être recherché « derrière » les mots employés.

 

Les personnes autistes sans déficience intellectuelle peuvent très bien camoufler leur difficulté liée à la compréhension de la communication et les interactions sociales en utilisant un langage soutenu et un vocabulaire élaboré. Si la « technique » de communication (le langage) peut sembler d’un très bon niveau chez certaine personne au premier abord, l’illusion disparait en situation au détour d’une conversation car il y a tellement plus d’éléments à prendre en compte que les mots.

 

Qualité du langage chez les personnes autistes

Si la communication et les interactions sociales diffèrent dans leur usage chez les personnes autistes, ces différences n’ont pas toujours une valeur négatives, et il serait réducteur de percevoir cette communication uniquement comme un symptôme ou comme un dysfonctionnement devant être corrigé.

Les enfants autistes peuvent très jeunes développer un vocabulaire riche et conséquent qui inclus des termes techniques complexes (surtout dans leur domaine d’intérêt spécifique). C’est ce langage si élaboré qui a conduit Hans Asperger à appeler les enfants qu’il étudiait les « petits professeurs ».

Les conversations des personnes autistes étant plutôt basées sur les faits et les informations, le niveau intellectuel des échanges peut être élevé (dans le cas des personnes sans déficience intellectuelle) et elles sont patiente pour expliquer la manière dont fonctionne un concept en particulier.

Comme elles adoptent un langage écholalique (par répétition) les personnes autistes sont promptes  a maitriser différents accents et différentes langues étrangères.

Hans Asperger avait observé cette utilisation tout à fait particulière du langage faite par les enfants autistes qu’il observait :

 

They are simply not set to assimilate  and learn an adult’s knowledge (…). This become clearer when we look at the language production of autistic children. They, and especially the intellectually  gifted among them, undoudtedly have a special creativ attitude towards language. They are able to express their own original experience in a linguistically original form. This is seen in the choice of unusual words which one would suppose to be totally outside the sphere of these children

 

Traduction libre : Ils ne sont simplement pas fait pour assimiler et apprendre les connaissances des adultes. Cela devient clair lorsque nous regardons la production du langage des enfants autistes. Ils, et particulièrement les enfants surdoués parmi eux, ont indubitablement une attitude créative spéciale concernant le langage. Ils sont capables d’exprimer leur propre expérience originale dans une forme linguistique originale. Cela se voit dans le choix inhabituel des mots que l’on supposerait être totalement en dehors de la sphère de ces enfants.

En conclusion, on peut dire que pour les personnes autistes, la communication et les interactions sociales sont plus l’occasion d’échanger des informations concrètes et objectives que de partager un moment avec une personne.

 

 


Sources :

The complete guide to Asperger syndrome , Tony Atwood, 2007, Jessica Kingsley Publishers

Comprendre les personnes autistes de haut niveau, Peter Vermeulen, 2013, Dunod

Autisme comprendre et agir, Bernadette Rogé, 2008, Dunod

Autistic psychopathy in childhood, Hans Asperger, 1944

Autistic disturbances of affective contact, Léo Kanner, 1943