Les facteurs qui augmentent l’utilisation de soins psychiatriques

Aujourd’hui, plusieurs études montrent que les personnes autistes ont davantage recourt aux soins psychiatriques que la population générale. Cependant, on observe aussi des facteurs de risque à l’intérieur de la population des personnes autistes et l’utilisation élevée des soins psychiatriques n’est pas distribuée de la même manière dans le spectre de l’autisme.

L’objectif de l’étude (Righi, G., Benevides, J., Mazefsky, C. et al. J Autism Dev Disord, 2018) dont je vous propose le résumé dans cet article est d’identifier les facteurs individuels et familiaux qui augmentent le risque d’utilisation des soins psychiatriques et d’hospitalisation chez les personnes autistes.

Introduction et méthodologie de l’étude

Les Troubles du Spectre de l’Autisme (TSA) se caractérisent par un déficit de la communication et des interactions sociales et par des comportements répétitifs et restreints selon le DSM-5. La sévérité des troubles varie d’un individu à l’autre et peut être accompagnée de déficience intellectuelle, d’un déficit de langage ou d’autres conditions génétiques, psychiatriques ou neurodeveloppementales (American Psychiatry Association 2013).

Les personnes autistes ont plus de difficultés de santé tout au long de leur vie que la population générale (Barrett et al. 2015; Hamdani and Lunsky 2016; Liptak et al. 2006; Mandell et al. 2006; Shimabukuro et al. 2008; Wang and Leslie 2010). Cela est particulièrement valable pour les soins psychiatriques (Croen et al.2006). Entre 1999 et 2009, le taux d’hospitalisation des enfants autistes a augmenté de manière significative à l’exception des enfants âgés de moins de 5 ans (Nayfack et al. 2014). La cause principale de ces hospitalisations était une condition psychiatrique. Le taux d’hospitalisation des enfants autistes est significativement plus élevé en comparaison des taux d’hospitalisation des enfants sans trouble particulier, de ceux ayant une déficience intellectuelle ou de ceux ayant d’autres pathologies psychiatriques (Mandell et al. 2006; Wu et al. 2014). De plus, les adolescents autistes sont plus susceptibles que les autres d’avoir recours à des hospitalisations d’urgences pour des agressions ou de l’automutilation (Iannuzzi et al. 2015; Lunsky et al.2015).

Il y a des raisons de penser que le risque d’avoir recours à des soins psychiatriques n’est pas distribué de la même manière pour tous les individus sur le spectre et qu’il existe certains facteurs de risque qui exposent les personnes autistes à des besoins de soins psychiatriques plus importants (Croen et al. 2006; Kalb et al. 2012; Lunsky et al. 2015; Modi et al. 2015; Mandell 2008).

La présente recherche étudie les hospitalisations en service psychiatrique des enfants et adolescents autistes. Contrairement à la plupart des études et aux vastes bases de données dans le domaine de la santé, cette étude examine les facteurs prédictifs d’hospitalisation en prenant en compte aussi bien les dires des parents, que des cliniciens. Cette recherche est une étude comparative entre deux groupes de taille importante :

– le Autism Inpatient Collection (AIC) qui est le groupe des patients autistes hospitalisés au moins une fois en service psychiatrique

– le Rhode Island Consortium for Autism Research and Treatment (RI-CART) qui est un groupe de personnes autistes qui n’ont jamais été hospitalisées. Les âges et les genres des deux groupes correspondent.

Les chercheurs ont utilisé un modèle d’analyse intitulé Andersen’s Model of Behavioral Service Utilization (Andersen 1995) qui étudie l’utilisation d’un service selon trois caractéristiques :

– les facteurs de prédisposition : les caractéristiques démographiques, la présence d’une déficience intellectuelle, la sévérité des symptômes de l’autisme, le niveau de fonctionnement du langage et les fonctions d’adaptation

– les facteurs habilitant : la situation de vie des individus, la situation familiale, le statut familial

– les facteurs de besoins : les problèmes médicaux et les problèmes psychiatriques

Résultats de l’étude

Les deux groupes comparés ne présentaient pas de différence significative en matière d’âge et de genre. La population des deux groupes était majoritairement blanche et incluait une minorité de participants hispaniques et latinos.

Les personnes non verbales  avec une déficience intellectuelle étaient beaucoup plus représentées dans le groupe des patients hospitalisés en soins psychiatriques (AIC) que dans l’autre groupe.

Les compétences de vie quotidienne et les domaines de socialisation, évalués grâce l’échelle de Vineland, sont moins élevés dans le groupe de patients hospitalisés (AIC).

Le Score de Sévérité Total ainsi que celui concernant l’Affecte Social, évalués par l’ADOS-2, sont plus importants dans le groupe de patients hospitalisés (AIC). Il n’y a par contre pas de différence notable entre les groupes concernant les Comportements Répétitifs et Restreints.

Dans les deux échantillons, la majorité des enfants et adolescents résident chez leurs parents, bien qu’il y ait des différences significatives de statut marital chez les aidants familiaux. Ceux du groupe des patients autistes hospitalisés (AIC) sont plus souvent non mariés et n’ont pas de compagnon de vie.

Aucune différence significative n’a pu être observée concernant le revenu des ménages des deux groupes. Cependant si l’on regarde la répartition des revenus à l’intérieur des groupes, plus de familles issues du groupe AIC ont des revenus inférieurs à 20 000 $ et moins d’entre elles ont des revenus supérieurs à 100 000 $ comparativement au groupe de patients autistes non hospitalisés.

Un nombre globalement plus élevé de diagnostics psychiatriques par l’individu a été observé dans l’échantillon AIC. Parmi les différents diagnostics, il n’y a pas de différence significative dans la prévalence des diagnostics de TDAH, de trouble anxieux, de personnalité oppositionnelle, il y a par contre un nombre plus élevé de troubles de l’humeur (incluant la dépression et les troubles bipolaires notamment) dans le groupe AIC.

Parmi les problèmes médicaux, un nombre plus important de trouble du sommeil ont été observés dans le groupe AIC. Il n’y a par contre pas de différence significative entre les groupes pour les troubles suivants : crises d’épilepsie, problèmes hormonaux, problèmes dentaires, problèmes gastro-intestinaux.

Discussion

Il est à noter que la déficience intellectuelle, bien qu’elle soit davantage présente dans le groupe AIC n’est qu’indépendamment reliée à l’hospitalisation en psychiatrie lorsque ce facteur est contrôlé avec d’autres facteurs. Ces données peuvent sembler surprenantes, mais les recherches précédentes ont trouvé des résultats partagés sur la relation entre déficience intellectuelle, capacités de langage, et des comportements inadaptés sévères qui justifieraient une hospitalisation (Dominick et al. 2007; Kanne and Mazurek 2011; Matson et al. 2008; Ruddick et al. 2015).En outre, il est possible que la relation entre ces facteurs et l’hospitalisation ait été prise en compte par les scores de comportement adaptatif utilisés dans les analyses, car ils rendent compte des capacités des individus dans plusieurs domaines.

Les précédentes recherches n’ont pas analysé le lien entre les fonctions adaptatives et les hospitalisations en service psychiatrique chez les personnes autistes. Par contre, les études précédentes ont montré un lien fort entre de faibles compétences dans les fonctions adaptatives et la violence (hétéro et/ou auto agressivité) chez les personnes autistes (Farmer et al. 2014; Hartley et al. 2008; Mazurek et al. 2013). D’autres études (Kalb et al. 2012; Mandell 2008; Modi et al. 2015) ont montré un lien de causalité entre la présence de comportements violents et l’utilisation des services de soins psychiatriques chez les personnes autistes. La relation observée entre le fonctionnement adaptatif et l’hospitalisation pourrait être influencée par la présence de comportements non adaptés graves. Bien que la présente étude ne puisse pas parler directement de la nature de la relation entre le fonctionnement adaptatif et les comportements difficiles, les résultats démontrent l’importance d’évaluer et de traiter les déficits de comportement adaptatif tout au long de l’enfance et de l’adolescence chez les personnes TSA.

Peu d’études se sont intéressées au lien entre les caractéristiques principales de l’autisme (troubles de la communication et des interactions sociales, et comportements répétitifs et restreints) et l’utilisation des services de soins de santé (Lunsky et al. 2015). En revanche de nombreuses études ont étudié la relation entre les caractéristiques principales de l’autisme et les comportements agressifs. Les résultats sont mitigés, certaines ont trouvé qu’il existait un lien de dépendance entre ces variables (Matson et al. 2008), d’autres n’ont trouvé aucune dépendance (Hill et al. 2014). Ces différences s’expliquent par l’utilisation d’instruments différents pour mesurer la sévérité des symptômes.

Dans la présente étude, c’est le Score Calibré de Sévérité au test ADOS qui est retenu comme critère d’identification de la sévérité des symptômes de l’autisme. Ce score est un assemblage des résultats obtenus dans le domaine de la communication sociale et dans celui des comportements répétitifs et restreints. Le score d’Affect Social a été analysé comme étant un indicateur des compétences de communication sociale (prise en compte des comportements verbaux et non verbaux).

Les résultats n’ont montré aucune différence entre les deux groupes (patients hospitalisés et patients non hospitalisés), ce qui est surprenant, car les comportements répétitifs et restreints sont souvent associés à de plus importantes comorbidités psychiatriques (Gabriels et al. 2005; Stratis and Lecavalier 2013). Cette différence peut s’expliquer par le fait que dans les études précédentes les comportements répétitifs et restreints sont évalués sur les dires des accompagnants alors que dans la présente étude, ils sont mesurés par l’ADOS qui est une évaluation directe des comportements.

Par contre, un score plus élevé dans la catégorie Affect Social augmente le risque d’hospitalisation. Cette relation entre les deux variables peut être une manifestation du lien entre le déficit de communication et de compétences sociales et les comportements défis (Chiang 2008; Matson et al. 2013). Il y a donc nécessité à accompagner le plus tôt possible l’acquisition de meilleures compétences sociales pour les enfants autistes.

La relation entre le statut familial et le risque d’hospitalisation observé dans la présente étude peut souligner la nécessité de s’assurer qu’une famille dispose des ressources suffisantes pour faire face à des comportements négatifs significatifs. Même si une famille peut en fin de compte bénéficier de diverses ressources, les ressources spécifiques aux accompagnants familiaux peuvent jouer un rôle essentiel dans la réduction du risque d’hospitalisation, comme le montre une relation inverse précédemment démontrée entre le nombre de dispositifs de répit disponibles et le risque d’hospitalisation (Mandell et al. 2012).

En matière de comorbidités psychiatriques, la présente étude rejoint les résultats des précédentes qui montrent un lien entre les troubles de l’humeur et le risque d’hospitalisation (Mandell 2008). Une attention toute particulière dès les premières manifestations de ce trouble doit donc être observée par les cliniciens qui accompagnent les personnes autistes.

Les troubles du sommeil n’ont jamais été étudiés comme facteur de risque d’une hospitalisation en service psychiatrique ou d’utilisation des soins psychiatriques. Pourtant on sait que les troubles du sommeil sont plus présents chez les enfants ayant un trouble psychiatrique (Ivanenko and Johnson 2008) et les enfants autistes avec des troubles du sommeil ont plus de comportements défis (Goldman et al. 2011; Hill et al. 2014; Mazurek et al. 2013). Les résultats de la présente étude rejoignent ceux des études précédentes concernant les troubles du sommeil.

Enfin, divers facteurs non mesurés dans la présente étude contribuent à augmenter le risque d’hospitalisation, notamment les soins psychiatriques ambulatoires, les services comportementaux à domicile, le cadre scolaire ou les programmes de jour, ainsi que la disponibilité d’autres services individuels et familiaux.

Malgré leurs limites, les présents résultats révèlent des indicateurs pouvant être utiles pour identifier les enfants et les adolescents présentant un risque plus élevé d’hospitalisation en psychiatrie, ainsi que des cibles potentielles pour une intervention individuelle et familiale visant à réduire le risque de recourir à des services psychiatriques.


Source :

Predictors of Inpatient Psychiatric Hospitalization for Children and Adolescents with Autism Spectrum Disorder, Righi, G., Benevides, J., Mazefsky, C. et al. J Autism Dev Disord, 2018