Les enfants autistes « sévères » et leur place dans la recherche scientifique

D’une extrémité à l’autre du spectre de l’autisme, il existe des profils et des situations différentes. Deux constructions médiatiques des représentations de l’autisme consistent d’un côté en la figure du génie hyper-compétent dans un domaine et l’autre est représentée par ce petit garçon déficient qui se tape la tête contre le mur. C’est à cette deuxième catégorie de personnes autistes que s’intéresse l’article d’aujourd’hui. Cette représentation a été souvent utilisée dans les médias il y a quelques années avant d’être remplacée par la figure de l’autiste savant.

Aujourd’hui il me semble que l’on aborde moins les problématiques des personnes autistes dites « sévères » ou à « bas niveau » de fonctionnement. Comme elle a été souvent médiatisée on pourrait s’attendre à ce que cette population ait été beaucoup étudiée par la communauté scientifique afin de comprendre le fonctionnement de ces personnes et pouvoir trouver des solutions à leurs problématiques.

Or ca n’est pas le cas, il y a très peu d’études qui permettent de mieux comprendre les comportements des personnes autistes « sévères » alors même que ces comportements réduisent beaucoup leur qualité de vie quotidienne. Ils se manifestent souvent par de la violence à leur encontre ou envers autrui. Cela est difficile à vivre pour leur famille et les isole peu à peu socialement car ils se font renvoyer de l’école, de l’institut médico-social, du travail…

Ce texte s’appuie sur un article paru dans la revue Spectrum News en novembre 2017 et dont vous trouverez la référence en bas de page.

 

Caractérisations des enfants autistes sévères

 

Les personnes autistes concernées par une forme « sévère » de cette condition représenteraient environ 1/3 de la population autiste générale. Mais il faut relativiser ce chiffre car aujourd’hui il n’existe pas de définition clinique exacte de ce qui peut être considéré comme une forme « sévère » d’autisme. Le Autism and Developmental Disorders Inpatient Research Collaborative est un regroupement des cinq plus grandes unités dédiées à la psychiatrie infantile et accueille plus de 1000 enfants par an. Une très grande partie de ces petits patients sont des autistes « sévères ». Des recherches collaboratives sont menées pour essayer de caractériser les agressions et les autos mutilations chez les enfants autistes sévères. Ils ont ainsi pu construire un portrait plus nuancé de ceux qu’on appelle autistes « sévères » en prenant en compte la manière dont les traumatismes, la dépression, l’anxiété et d’autres pathologies associées affectent le comportement de l’enfant, ses capacités à communiquer et à s’adapter à son environnement. Ils posent par exemple la question de savoir si un enfant autiste qui présente toutes les caractéristiques de l’autisme dans les critères de la communication et des interactions sociales ainsi que dans les comportements répétitifs et restreints avec en plus une déficience intellectuelle présente une forme d’autisme plus ou moins sévère qu’un enfant autiste avec un QI se situant dans la moyenne de la population générale mais qui se mord et mord les autres personnes.

Les personnes ayant une forme sévère d’autisme sont souvent déficiente intellectuelle, mais pas toujours. Elles ont peu ou pas de langage et ont des difficultés à réguler/comprendre/interpréter leurs émotions. L’ensemble de ces caractéristiques amènent souvent à des hospitalisations en psychiatrie, c’est le cas pour 11 % des enfants autistes. Ils sont principalement admis pour les motifs suivants : auto ou hétéro agressivité, colères extrêmement violentes. L’autisme est un spectre dans lequel les caractéristiques comportementales peuvent varier de « légèrement perturbateur » à « vraiment dangereux ».

Il existe aujourd’hui peu d’étude sur les personnes ayant une forme « sévère » d’autisme, notamment parce que ce sont des patients peu coopératifs :

  • ils peuvent être violent envers les examinateurs,
  • il est difficile de leur faire faire des tests où ils doivent rester assis à une table et répondre à des questions,
  • ils n’ont pas toujours un moyen de communication qui permettent aux chercheurs d’obtenir les informations dont ils ont besoin
  • les investigations par imagerie cérébrale sont compliquées car les personnes ont peur d’entrer dans le scanner

 

Cette exclusion du champ de la recherche scientifique a des conséquences graves comme le fait que cette population soit peu connue du corps médical et peu de traitements ou de solutions sont mis en place pour leur permettre une meilleure qualité de vie. Aux Etats-Unis il y a seulement  une douzaine d’unités psychiatriques spécialisées dans l’accompagnement des adolescents ou enfants autistes sévères. La plupart des unités psychiatriques classiques pour les enfants ont l’habitude d’accueillir des personnes avec des troubles de l’humeur ou des psychoses, c’est-à-dire des enfants verbaux qui peuvent parler de leurs émotions. Ca n’est pas le cas pour les enfants autistes sévères. Comme il existe peu d’unités adaptées, les enfants autistes sévères sont souvent accueillis en psychiatrie générale pour adulte.

En comparaison des enfants non autistes admis en psychiatrie pour d’autres troubles, les enfants  autistes sévères présentent des défis importants pour les équipes de soignants qui sont démunis face à certains comportements et proposent des solutions inadaptées. Les unités de psychiatrie générale peuvent au mieux stabiliser médicalement l’enfant, mais elles ne sont pas en capacité de proposer des outils pour accompagner l’enfant.

Certaines institutions du Autism and Developmental Disorders Inpatient Research Collaborative ont développé le « step-down program ». C’est un programme global qui associe médication et thérapie comportementale. Il se compose d’une équipe pluridisciplinaire comprenant : des psychologues, des psychiatres, des travailleurs sociaux, des orthophonistes et des enseignants. Les parents sont également associés avec pour objectif de sortir l’enfant le plus vite possible de l’unité psychiatrique et d’assurer la continuité du programme à la maison et à l’école.

Mais loin d’idéaliser ce programme le professeur Siegel qui le dirige rappelle que les progrès sont lents et les professionnels considèrent comme un succès si l’enfant autiste sévère réduit déjà de 30 % les comportements d’automutilation.

 

Les crises autistiques des enfants autistes sévères

 

Une étude comparative a été menée par le laboratoire collaboratif afin de déterminer quels étaient les facteurs qui prédisposaient à une hospitalisation. L’étude a comparé 218 enfants autistes hospitalisés et 255 enfants autistes qui n’ont jamais été hospitalisés mais qui sont passés par des soins ambulatoires dans le Rhode Island Consortium for Autism Research and Treatment. Les chercheurs montrent que le premier facteur d’hospitalisation est lié aux troubles de l’humeur (comme la dépression) et en second lieu aux troubles du sommeil. D’autres facteurs ont également été trouvés comme le fait d’avoir un faible fonctionnement adaptatif qui réduit l’autonomie dans les actes de vie quotidienne (comme faire ses lacets, s’habiller et manger seul…) ou de vivre dans un foyer monoparental.

L’analyse de ces facteurs devrait permettre aux chercheurs de prévenir les comportements défis avant qu’ils nécessitent une hospitalisation.

Deux études publiées en juin 2017 (Behavioral Symptoms of Reported Abuse in Children and Adolescents with Autism Spectrum Disorder in Inpatient Settings, Brenner J, Pan Z, Mazefsky C, Smith KA, Gabriels R, Journal of Autism and Developmental Disorders) montrent qu’il existe des facteurs additionnels : les traumatismes liés aux abus physiques, sexuels ou émotionnels peuvent amener une anxiété et une irritabilité extrême chez les enfants autistes. Les enfants autistes avec des troubles anxieux ou des troubles de l’humeur sont plus touchés par les pensées suicidaires.

Les enfants autistes sévères avec peu ou pas de langage verbal montrent plus de troubles du comportement en adoptant un comportement agressif envers eux même ou les autres. Les chercheurs ont comparé 169 enfants peu ou pas verbaux et 177 enfants verbaux : c’est la capacité à développer des mécanismes d’adaptation qui réduit le risque de comportements dangereux (qui eux-mêmes entrainent l’hospitalisation). Carla Mazefsky, psychologue au sein du programme à Spring Harbor, explique que la communication est une des manières de faire face à la détresse, mais ca n’est pas la seule.

Lorsque les enfants autistes sont admis à Spring Harbor, ils passent une évaluation complète afin de voir s’ils ne souffrent pas d’un problème physiologique (comme un problème dentaire ou métabolique) ou s’ils n’ont pas un trouble de l’humeur non diagnostiqué comme la dépression ou l’anxiété. L’équipe vérifie aussi s’il n’y a pas d’évènement familial stressant comme un divorce ou une éviction de l’école. Ils font aussi une évaluation sensorielle afin de voir si l’enfant a des hyper ou hypo sensibilités qui pourraient expliquer les comportements agressifs. En général ca n’est pas l’un ou l’autre de ces facteurs, mais une combinaison de plusieurs d’entre eux qui explique le comportement difficile de l’enfant.

L’ensemble des membres de l’équipe, toutes disciplines confondues, se rencontre régulièrement afin de faire le point sur les enfants qu’ils accompagnent. Ils analysent les comportements et évaluent les progrès par l’intermédiaire d’un graphique avec des pics correspondants aux comportements agressifs de l’enfant.

 

Les pathologies associées

 

Beaucoup d’enfants ont des pathologies associées à l’autisme incluant des désordres de l’humeur, de l’anxiété, un trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité. Une étude (The Co-Occurrence of Autism and Attention Deficit Hyperactivity Disorder in Children – What Do We Know ? Yael Leitner, Frontiers in Human Neuroscience, 2014) montre que 50 % des personnes autistes ont un Trouble Déficitaire de l’Attention. Mais aujourd’hui il y a peu de connaissances sur les liens entre l’autisme « sévère »et l’ensemble des pathologies qui peuvent y être associées.

Les chercheurs ont aussi fait une analyse des prescriptions médicales pour ces enfants autistes sévères : sur 350 enfants admis au sein de leur service, 90 % avaient une prescription pour des médicaments psychotropes au moment de leur admission.

 

It’s a huge number, but it’s not surprising, given that these kids are in such distress that they’re being hospitalized,  Wink says.

 

Traduction libre : c’est un nombre énorme, mais ca n’est pas surprenant, étant donné que ces enfants étaient dans une telle détresse lorsqu’ils ont été hospitalisés. Dit Wink, une chercheuse du groupe.

Étonnamment cette proportion augmente jusqu’à 97 % des enfants autistes sévères au moment où ils sortent de l’hôpital. Ce qui signifie que plus de prescriptions médicales pour des médicaments psychotropes ont été effectuées. Wink espérait une chute de ce pourcentage avec la mise en place des approches comportementales. Mais cette augmentation s’explique par le fait que des investigations complémentaires sont menées et de nouvelles pathologies sont découvertes pour ces enfants. Celles-ci nécessitent souvent la mise en place d’un nouveau traitement.

Elle observe également que deux mois après la sortie d’hôpital le pourcentage d’enfants sous prescription baisse à 64 %. Plusieurs pistes doivent être approfondies par les chercheurs : soit les comportements défis diminuent avec le retour à domicile, soit les parents et les médecins traitants des enfants arrêtent l’usage des psychotropes, notamment à cause des effets secondaires souvent conséquents sur la qualité vie.

 

Une explication génétique

 

Le groupement collaboratif s’intéresse à l’architecture génétique de l’autisme  sévère  qui peut révéler des indices supplémentaires. Les chercheurs ont l’intention de recruter 1600 enfants autistes et leurs familles afin de procéder à une analyse séquentielle de leur ADN. Près de 700 familles ont déjà donné un échantillon de sang et de salive. Environ la moitié des enfants ont une déficience intellectuelle et 1/3 sont peu verbaux.

Beaucoup d’analyse ADN sont réalisées sur des personnes autistes avec un haut niveau de fonctionnement. Cette recherche a pour objectif de voir s’il existe un sous-type de gènes qui expliqueraient que les enfants autistes sévères partagent des traits communs au niveau physique, psychiatrique, et comportemental.  Ils espèrent pouvoir ainsi adapter les traitements et les méthodes à ces caractéristiques.

 

Un appareil permettant de prédire les accès de violence

 

L’équipe de chercheurs travaille sur la création d’un appareil, semblable à une montre connectée qui serait capable de prédire les changements de comportement des enfants autistes  sévères. Si ces colères semblent parfois venir de nulle part et n’être pas prédictibles, c’est parce qu’en fait nous ne sommes pas toujours capable d’en lire les prémisses.

L’appareil appelé E4 wristband devrait permettre de repérer l’excitation physiologique mesurée par la sueur. Il devrait permettre à l’enfant de repérer lui-même ses changements de comportement et mettre en place des stratégies pour apprendre à se calmer. Il permettra également aux parents ou aux professionnels de pouvoir intervenir en amont d’une éventuelle crise de violence.

Cependant il reste très complexe pour les chercheurs de pouvoir décoder les émotions des enfants autistes sévères par leur comportement car parfois ils vont se frapper fort au visage pour exprimer la joie ou sourire, voir rigoler alors qu’ils sont blessés. Le ton de la voix n’est pas non plus un indicateur fiable du reflet des émotions, ni les expressions faciales.

 

Les personnes autistes « sévères » sont celles qui ont le plus besoin d’accompagnement que ce soit au niveau médical ou éducatif. Le fait qu’elles aient souvent peu accès au langage verbal et qu’elles présentent des comportements violents pour elles-mêmes ou autrui diminue fortement leur qualité de vie. Des recherches plus approfondies de l’étude de leurs comportements devraient permettre de leur apporter des solutions et diminuer l’impact des comportements défis sur leur vie quotidienne.

 


Source :

Why children with ‘severe autism’ are overlooked by science, by Alisa Opar, Spectrum News, octobre 2017