Le suicide chez les personnes autistes

Cet article est un résumé de l’étude A 20-Year Study of Suicide Death in a State wide Autism Population, Autism Res. 2019 Jan 21.

Dans la population générale, le suicide se produit plus souvent chez les hommes que chez les femmes, avec un ratio de 3.5 pour 1 (NIMH, 2018) et les femmes ont également tendance à utiliser des méthodes de suicide moins violentes que les hommes (Ajdacic-Gross et al., 2008).

Les familles, les cliniciens et les personnes autistes mettent en avant leurs inquiétudes en même temps qu’émergent des études montrant un taux de pensées suicidaires et comportements suicidaires élevés parmi les personnes autistes (Veenstra-Vander- Weele, 2018).

Cependant il y a actuellement peu d’études sur le risque de
décès par suicide sur la population des personnes autistes.

Cette étude s’intéresse spécifiquement aux décès par suicide
chez les personnes autistes en Utah afin d’identifier les incidences et les caractéristiques
des personnes décédées.

Les pensées et comportements suicidaires chez les personnes
autistes

Les études montrent qu’il y a un taux élevé de pensées et comportements suicidaires chez les personnes autistes (e.g., Segers &Rawana, 2014; Zahid &Upthegrove, 2017). Zahid et Upthegrove ont trouvé un taux de tentatives de suicide entre 7 et 14 % et 72 % d’idées suicidaires dans plusieurs échantillons de petite taille. Dans un échantillon de 374 personnes autistes diagnostiquées (principalement Asperger), Cassidy (2014) trouve un taux de 66 % d’idées suicidaires. Cela dépasse de plus de neuf fois le taux de la population générale.

Culpin et al. (2018) a récemment identifié une relation
entre les déficits de communication sociale et les tentatives de suicide sur un
échantillon de 5000 jeunes au Royaume-Unis.

Une seule étude a examiné la mort par suicide chez les personnes autistes. Cette étude a été menée en Suède par Hirvikoski et al. (2016).

En tout, 83 personnes autistes sont mortes par suicide dans
leur échantillon. Cela correspond à un taux de 0.31%, ce taux est de 0.04% dans
la population générale.

Ils ont identifié le suicide parmi les trois principales causes de mortalité prématurée chez les personnes autistes sans déficience intellectuelle ce groupe était neuf fois plus susceptible de se suicider que ceux sans TSA.

Les chercheurs ont été particulièrement alertés par le taux de suicide chez les femmes autistes.

Étant donné que le suicide et les TSA sont moins fréquents chez les femmes, les chercheurs s’attendaient à ce que le suicide chez les femmes autistes soit assez rare. Cependant, dans l’étude de Hirvikoski et al. (2016), les femmes autistes étaient plus de 13 fois plus susceptibles que les femmes de la population générale de se suicider.

L’objectif de cette étude sur le suicide chez les personnes autistes

Dans cette étude, menée aux États-Unis dans l’état de l’Utah, les chercheurs ont utilisé les données médicales à disposition pour étudier le suicide des personnes autistes sur 20 ans (de 1998 à 2017) et en le comparant avec celui des personnes non autistes. Les personnes autistes de l’échantillon ont toutes un diagnostic d’autisme confirmé et conforme aux standards internationaux (CIM ou DSM).

Les chercheurs ont analysé les certificats de décès des personnes autistes mortes par suicide, et notamment le sexe, l’âge, la situation professionnelle, l’origine ethnique, l’état matrimonial  et la méthode de suicide.

Ils ont posé les hypothèses suivantes sur la base des
recherches précédemment existantes :

1. le taux de suicide est plus important chez les personnes
autistes que non autistes

2. le taux de suicide des femmes autistes est beaucoup plus
élevé comparativement aux femmes de la population générale

3. les méthodes de suicide violentes sont davantage utilisées par les hommes autistes que par les femmes autistes

4. les méthodes de suicide violentes sont plus utilisées
dans l’ensemble de la population autiste que dans l’ensemble de la population
générale

Quatre sources de données ont été utilisées dans cette étude : Utah Registry of Autism and Developmental Disabilities (URADD) à l’échelle de l’état, les données de surveillance du suicide à l’échelle de l’état recueillies par le bureau du médecin légiste de l’Utah, la UPDB, et le système d’information pour la santé publique basé sur des indicateurs de l’Utah (IBIS-PH).

Résultats de l’étude portant sur le suicide des personnes autistes

Résultats pour l’hypothèse 1 : Durant les 15 premières années étudiées il y a peu de différences sur les morts par suicide entre la population des personnes autistes et la population générale. Par contre entre 2013 et 2017, l’incidence cumulative des décès par suicide dans la population des personnes autistes était de 0,17%, ce qui est significativement plus élevé que la population non-autiste qui a une incidence cumulative de 0,11%. L’hypothèse selon laquelle il y a davantage de mort par suicide chez les personnes autistes que chez les personnes non autistes est donc validée.

Résultats pour l’hypothèse 2 : Entre 2013 et 2017, l’incidence cumulative des décès par suicide des femmes autistes était de 0.17 % alors qu’elle n’est que de 0.05 % dans la population générale. Le taux de suicide des femmes autistes est donc bien beaucoup plus élevé comparativement aux femmes de la population générale

Les chercheurs ont également comparé directement les groupes
de femmes et d’hommes dans l’intervalle de temps 2013-2017, en constatant que
les hommes non autistes étaient significativement plus susceptibles que les
femmes non autistes de se suicider mais le taux de suicide ne différait pas
entre les hommes et les femmes autistes.

Les résultats ont montré que pour la population des jeunes à risque, l’incidence cumulative des suicides était significativement plus importante chez les femmes autistes que chez les femmes non autistes. Par contre il n’y a pas de différence significative dans l’incidence cumulative des suicides entre les hommes autistes ou non autistes.

Si l’on regarde l’ensemble de la population des jeunes à
risque de suicide entre 2013 et 2017, l’incidence cumulative est
significativement plus élevée chez les jeunes autistes (0.16%) que chez les
jeunes à risque de la population générale (0.07%).

Caractéristiques des personnes

Les chercheurs ont étudié 49 individus autistes qui sont mort par suicide durant les 20 dernières années. Il y a 7 femmes (14%) et 42 hommes (86%).

Les personnes autistes sont en moyenne plus jeunes au moment
de leur suicide (32.4 ans) que les personnes de la population générale (41.8
ans).

Résultats de l’hypothèse 3 : La méthode de suicide ne diffère pas entre les hommes et femmes autistes dans cette étude, l’hypothèse 3 selon laquelle les hommes autistes utiliseraient des méthodes de suicide plus violente n’est donc pas validée dans cette recherche.

Résultats de l’hypothèse 4 : 73 % des personnes autistes utilisent des méthodes de suicide considérées comme violente, une proportion similaire est trouvée pour les personnes non autistes. L’hypothèse 4 selon laquelle les personnes autistes utilisent des méthodes de suicide plus violente que les personne non autistes n’est pas validée non plus dans le cadre de cette recherche.

Explications des résultats de l’étude sur les décès par suicide chez les personnes autistes

Cette étude complète les travaux épidémiologiques existants en Suède (Hirvikoski et al., 2016). Les résultats révèlent une incidence plus faible de décès par suicide chez les individus autistes que celle de l’étude de Hirvikoski et al. Cela peut être dû aux différentes méthodes permettant de déterminer le statut de TSA et / ou les différences réelles de taux de suicide. Les taux peuvent varier d’un pays à l’autre pour de nombreuses raisons liées aux taux de suicide dans la population en général, notamment des facteurs environnementaux (Holopainen, Helama, Björkenstam et Partonen, 2013), des facteurs socioculturels (Amitai&Apter, 2012) et l’accès aux services. (Hester, 2017).

Les estimations d’incidence au cours de l’intervalle de temps le plus récent (2013-2017) suggèrent que le risque de suicide est plus élevé chez les personnes autistes par rapport à la population non autiste. Cependant, cette différence a été expliquée principalement par le taux élevé de femmes autistes décédées par suicide.

Durant la période de 2013 à 2017, les chercheurs ont constaté que les femmes autistes ont 5 fois plus de chance de mourir de suicide que leur leurs pairs typiques. Cela concorde avec les résultats trouvé par Hirvikoski et al. (2016). Les femmes autistes ont souvent été négligées dans les recherches (Lai et al., 2015). Les résultats de notre étude fournissent une justification supplémentaire pour renforcer l’attention portée aux femmes.

Certaines études ont montré que les femmes autistes pouvaient être confrontées à divers problèmes, dont l’abus sexuel, les difficultés sociales et des conflits d’identité de genre (Bargiela, Steward et Mandy, 2016). Les expériences traumatisantes et les conflits d’identité sont des facteurs de risque de suicide connus dans la population générale. De plus, des études ont montré que les femmes peuvent ressentir le besoin de camoufler ou de dissimuler leurs traits autistiques (Bargiela et al., 2016), et une étude récente suggère que ces comportements de camouflages sont significativement associés au suicide chez les personnes autistes (Cassidy, Bradley Shaw et Baron-Cohen, 2018).

Le faible taux d’emploi chez les personnes autistes serait aussi un facteur à prendre en compte car les études montrent que c’est un facteur aggravant (e.g., Pelton &Cassidy, 2017). Mais ce facteur n’explique que partiellement le taux de suicide car 49 % des personnes autistes décédées par suicide durant l’étude étaient en emploi ou étudiants.

La comparaison des taux
de suicide entre les personnes autistes et non autistes montre que les
personnes autistes se suicident plus jeunes. Les jeunes autistes font faces à
des difficultés telles que la construction de l’identité, les relations
sociales, ou la transition vers l’âge adulte qui peut être complexe.

Limites de l’étude et
prolongements

La force principale de cette étude est qu’elle s’appuie sur plusieurs bases de données fiables concernant l’identification des décès et sur les dossiers médicaux des personnes concernant le diagnostic d’autisme.

En revanche, une de ses
limites est que les médecins ne déclarent le suicide d’une personne que s’il y
a des preuves objectives d’intentionnalité. Le nombre de mort par suicide dans
la population générale, comme dans celle des personnes autistes pourrait donc
être sous-estimé. La volonté de se donner la mort est encore plus difficile à
évaluer chez les personnes ayant une déficience intellectuelle ou d’importantes
limitations dans la communication.

Une autre limite de l’étude est le fait que les personnes autistes, surtout les plus âgées et les femmes, peuvent être sous diagnostiquées car l’autisme était mal connu il y a encore quelques années (Lai & Baron-Cohen, 2015,Loomes, Hull, & Mandy, 2017).

 
A 20-Year Study of Suicide Death in a State wide Autism Population, Autism Res. 2019 Jan 21 : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/30663277