L’emploi des personnes autistes : un état de la recherche

L’autisme est un trouble neurodéveloppemental qui a cours tout au long de la vie. Les résultats sur le déroulé de la vie, suggèrent qu’il y a peu de personnes autistes qui vivent de manière indépendante, ont des relations sociales ou travaillent. Ils ont en général une mauvaise santé mentale et qualité de vie (Hendricks and Wehman, 2009; Howlin et al., 2013; Kirby et al., 2016; Levy and Perry, 2011; Magiati et al., 2014; Seltzer et al., 2004).

Cependant, certains adultes autistes obtiennent des diplômes
d’études supérieures, occupent un emploi à long terme, vivent de manière
indépendante et entretiennent des relations sociales et amoureuses (Billstedt
et Gillberg, 2005; Eaveset Ho, 2008; Farley et al., 2009).

Cette variabilité dans les résultats de la vie est liée à
l’hétérogénéité des profils des personnes autistes impliquant notamment les
facteurs individuels comme le quotient intellectuel, les compétences
langagières, les comorbidités (Farley et al., 2009; Henninger and Taylor, 2013;
Howlin et al., 2004; Kirby et al., 2016; Magiati et al., 2014) ou les facteurs
environnementaux comme le soutien de la famille, la mise en place
d’interventions et de services adaptés (Holwerda et al., 2012; Levy and Perry,
2011).

Si l’autisme est souvent abordé en matière de déficit et de
dysfonctionnement, les personnes autistes ont aussi des forces et des
compétences qui peuvent être mises à profit dans le cadre d’un emploi. Elles
performent souvent dans des tâches nécessitant un traitement systématique de
l’information, un degré élevé de précision, et de répétition (Baldwin et al.,
2014; de Schipper et al., 2016; Walsh et al., 2014).

Capitaliser sur ces forces et faire correspondre l’environnement de travail avec les besoins de la personne peut apporter des résultats positifs dans des domaines variés d’emploi pour les personnes autistes (Hendricks, 2010; Mawhood and Howlin, 1999). Mais en dépit de quelques exemples de personnes autistes aux résultats prometteurs dans le domaine de l’emploi, beaucoup d’entre elles continuent à expérimenter des défis et des difficultés pour se maintenir en l’emploi (Hendricks, 2010; Howlin and Moss, 2012; Hurlbutt and Chalmers, 2004). Cela est en partie motivé par des modèles de service qui continuent de mettre l’accent sur la réduction des déficiences, sans se soucier des forces des personnes autistes, perpétuant de faibles attentes et aboutissant à de piètres résultats en matière d’emploi (Holwerda et al., 2012; Lorenz et Heinitz, 2014).

Quelques chiffres : l’emploi des personnes autistes autour du monde

  • en Australie  42 % des adultes autistes ont un emploi contre 53 % des personnes handicapées et 83 % de la population sans handicap (Australian Bureau of Statistics, 2009, 2010)
  • au Royaume-Uni 15 % des personnes autistes en âge de travailler ont un emploi à temps plein (Mavranezouli et al., 2013; Rosenblatt, 2008) et seuls 34 % ont participé au moins une fois à une quelconque forme d’emploi
  • aux États-Unis 58 % des jeunes adultes âgés de 18-25 ans ont déjà eu un emploi rémunéré et 21 % ont un emploi à temps plein (Bureau of Labor Statistics, 2013; Roux et al., 2015)
  • en France seul 0.5 % des personnes autistes ont un emploi en milieu ordinaire (stratégie autisme 2018-2022). Il semblerait cependant que ce chiffre ne puisse être réellement vérifié et le seul chiffre existant serait celui de 23 000 usagers d’ESAT autistes, soit environ 5% des adultes (Rapport de la Cour des Comptes).

Parmi ceux qui sont en emploi, beaucoup d’entre eux
travaillent en dessous de leurs qualifications ou de leurs compétences réelles.
Ils ont souvent un emploi avec un faible nombre d’heures et sont donc peu
rémunérés. Ils ont également une paie plus faible que leurs collègues non
autistes à une position équivalente (Howlin et al., 2004; Roux et al., 2015;
Shattuck et al., 2012).

Au niveau individuel, les mauvais résultats en matière
d’emploi chez les adultes autistes ont un impact négatif sur le statut
socioéconomique, la qualité de vie et la santé mentale (Fleming et al., 2013;
Gerhardt et Lainer, 2011; Wanberg, 2012).

Les difficultés rencontrées par les personnes autistes en
emploi sont directement liées aux caractéristiques de l’autisme et se traduisent
de la manière suivante :

  • des difficultés à maitriser le processus de candidature
  • des difficultés à suivre un enchainement d’instruction ou de consignes
  • des difficultés à communiquer et interagir avec les collègues
  • des difficultés à s’intégrer à la culture d’entreprise
Entretien d’embauche et codes sociaux : ce qu’il faut surtout pas dire

Il est toutefois probable que des facteurs environnementaux,
tels que les attitudes et les préoccupations des employeurs face aux obstacles
réels ou perçus à l’emploi de travailleurs autistes, influent sur les faibles
taux de participation à l’emploi. Par exemple les frais de logement, les
besoins de supervision supplémentaires, les absences pour maladie,
l’hétérogénéité des effectifs et les impératifs concernant la productivité des
employés (Hernandez et McDonald, 2010; Ju et al., 2013; Unger, 2002).

Une autre barrière pour que les personnes autistes accèdent
à l’emploi est l’approche traditionnelle sous forme de publication d’annonce et
d’entretien d’embauche. Ceux-ci requièrent des compétences sociales et de
communication qui sont difficilement accessibles pour les personnes autistes,
alors même qu’elles ne sont pas toujours nécessaires dans le poste visé.

Il existe des services spécialisés qui accompagnent les
personnes autistes dans le processus de recrutement, l’entretien d’embauche,
les aménagements de travail et la guidance dans les relations avec les
collègues.

Les services d’accompagnements dans l’emploi négligent
souvent les besoins en matière de soutien social et de formation en cours
d’emploi (qui sont pourtant nécessaires aux personnes autistes) et ont tendance
à traiter leurs besoins de manière homogène (Nicholas et al., 2014; Richards,
2012). De nombreux prestataires de services d’emplois ne sont pas formés pour
répondre de manière complète aux besoins uniques et variés des personnes
autistes dans l’emploi. Ils ne comprennent pas non plus leurs forces ce qui
permettrait de leur fournir un soutien personnalisé spécifique à leurs
problématiques en vue d’une réussite professionnelle (Chen et al., 2015a;
Müller et al., 2003).

Les coûts associés à la fourniture de soutiens
professionnels aux personnes autistes peuvent également être un obstacle pour
les services de l’emploi.

La catégorie des personnes autistes est considérée comme
étant la plus coûteuse en matière d’accompagnement à l’emploi avec un nombre
plus élevé de services, un besoin de services diversifiés et des services de
soutien qui sont mis en place sur des temps plus longs et avec des résultats
moins bons, comparativement aux autres types de handicaps (Burgess et Cimera,
2014; Chen ., 2015b; Cimera et Cowan, 2009; Seaman et Cannella Malone, 2016).

Cet examen exploratoire examine l’étendue et la portée des
recherches sur l’emploi des personnes autistes en utilisant une échelle appelée
International Classification of Functioning, Disability and Health (ICF) comme
cadre pour résumer et synthétiser les résultats dans le but d’informer la
communauté des chercheurs ainsi que les instances politiques futures et de
faire progresser la pratique factuelle pour améliorer la situation des
personnes autistes dans l’emploi.

Cette étude a plusieurs objectifs :

  1. Examiner la littérature sur l’emploi des personnes autistes
  2. Explorer les mesures utilisées et évaluer les résultats en matière d’emploi
  3. Identifier les compétences et les capacités des personnes autistes qui contribuent à la réussite dans l’emploi
  4. Décrire, classer et associer les programmes et interventions actuels de la ICF en matière d’emploi dans le domaine des TSA
  5. Résumer les résultats généraux des interventions et des programmes de soutien.

Méthodologie

Cette étude exploratoire a examiné l’emploi des personnes autistes,
en aidant à cartographier les concepts clés de la recherche, en synthétisant la
littérature et en identifiant les lacunes dans les preuves récoltées, en fin de
compte en soutenant la diffusion des résultats auprès des personnes concernées,
des chercheurs et des décideurs (Arksey et O’Malley , 2005).

Cette étude sur l’emploi des personnes autistes a adopté la
méthodologie définie par Arksey et O’Malley’s (2005) et précisée par Daudt et
al. (2013) et Levac et al. (2010) et qui s’articule en 6 étapes :

  1. l’identification des buts et objectifs de la recherche
  2. rechercher des études pertinentes
  3. sélectionner systématiquement les études
  4. données cartographiques
  5. rassembler, résumer et rendre compte des résultats, y compris une évaluation méthodologique de la qualité
  6. consulter les parties prenantes pour informer ou valider les résultats de l’étude (Arksey et O’Malley, 2005).

Au total, 4114 références ont été identifiées et ce nombre a
été réduit à 2434 après la suppression des doublons et des types de référence
inappropriés. Les titres et les résumés des articles ont été examinés en
fonction des critères d’inclusion. Lorsque les informations nécessaires à cette
inclusion faisaient défaut, des copies intégrales des articles ont été récupérées
et revues, avec au final 134 articles répondant aux critères d’inclusion.

La majorité des articles identifiés provenaient des
États-Unis (k = 87), suivis du Royaume-Uni (k = 12), de l’Australie (k = 8) et
de la Suède (k = 4). Au total, 84 études étaient quantitatives, dont 22 ont
extrait des informations des bases de données nationales plutôt que directement
des participants, 44 étaient qualitatives, 5 étaient des rapports et une
utilisant une méthodologie mixte

Résultats

À l’heure actuelle, les recherches se concentrent surtout
sur le diagnostic et les interventions précoces, mais il y a très peu de
recherches sur les interventions auprès des adultes (Hedley et al., 2016; Howlin
et al., 2015; Schall et al., 2015).

Sur les 134 études traitant 
de l’inclusion dans l’emploi, seules 36 évoquaient les interventions.

Bien que ces études sur les interventions aient eu pour
objectif commun d’améliorer les résultats en matière d’emploi, elles étaient
principalement axées sur les déficiences, en ciblant leurs interventions sur
les caractéristiques intrinsèques individuelles de l’autisme, sans trop tenir
compte des influences contextuelles.

Les interventions ciblaient les traits autistiques
généralement associés aux difficultés à trouver et à obtenir un emploi, telles
que les fonctions exécutives et leur impact en matière de résolution de
problèmes, d’organisation, de gestion des tâches et de régulation du
comportement. Elles s’intéressent aussi aux compétences de communication
sociale requises pour les entretiens et les interactions en milieu de travail
(American Psychiatric Association, 2013; Hendricks, 2010; Müller et al., 2003).

Si ces interventions sont efficaces pour mesurer les compétences
professionnelles et les compétences au niveau des fonctions exécutives, la
plupart des personnes autistes demeurent sans emploi après ces interventions. Les
taux de chômage toujours élevés parmi les participants à la suite de ces
interventions suggèrent que les interventions axées sur les déficiences ne suffisent
pas à elles seules pour avoir des résultats bénéfiques dans le domaine de l’emploi
pour les personnes autistes (Ellenkamp et al., 2016).

Cela est notamment dû à l’utilisation du modèle médical qui
voit l’autisme comme un problème individuel lié à la personne. Les interventions
à ce niveau consistent à faire prendre conscience à la personne autiste de la
responsabilité de son handicap et faire les ajustements personnels nécessaires
pour accéder au monde du travail (Dempsey and Nankervis, 2006).

Dans les études retenues pour l’analyse, aucune n’avait
adopté le modèle médical, pourtant la plupart d’entre elles ont façonné leurs interventions
en ce basant sur le changement personnel des caractéristiques de l’autisme
(trouble de la communication et des interactions sociales et comportements
répétitifs et restreints) pour faciliter la recherche et le maintien dans l’emploi
(Bonete et al., 2015; Gilson and Carter, 2016; Liu et al., 2013; Morgan et al.,
2014).

La plus grande partie des interventions ciblaient le noyau
des caractéristiques de l’autisme comme la communication, les capacités d’apprentissage
et d’application des connaissances, les tâches et demandes générales. Les
interventions sur les compétences de communication représentaient à elles seules
plus de 50 % de l’ensemble des interventions.

Pour tenter de s’éloigner du modèle médical traditionnel, de nombreuses interventions ont incorporé des facteurs environnementaux tels que des aides techniques et les jobs coachs dans leur approche (Allen et al., 2010a, 2010b; Arikawa et al. , 2013; Smith et al., 2014). Cependant, ces facteurs environnementaux ont simplement été utilisés comme moyen de réaliser des interventions axées sur la déficience, plutôt que d’être l’intervention elle-même, c’est-à-dire qu’un dispositif électronique (facteur environnemental) est utilisé pour aider les personnes autistes dans la gestion de leur temps et de leurs tâches (fonctions exécutives) pour améliorer les performances au travail (activités et participation) (Gentry et al., 2015).

Les catégories identifiées dans la composante des facteurs
environnementaux indiquent que le soutien des professionnels paramédicaux, des collègues
et des employeurs, le soutien organisé de services financés par le gouvernement
et les produits et technologies interagissent avec les employés autistes et les
aident à déterminer leur niveau de fonctionnement sur le lieu de travail.

Ces résultats soulignent l’utilité du modèle biopsychosocial
de la CIF, mais aucune des interventions pour l’emploi examinées dans cette
étude n’a délibérément incorporé l’interaction dynamique entre la personne et
l’environnement dans leur conception.

Autisme et emploi : une cartographie des problématiques

Le peu de recherches sur la conception des interventions
chez les adultes autistes entrave la conceptualisation des interventions pour
l’emploi (Hedley et al., 2016; Holwerda et al., 2012).

Cette prédominance du modèle médical ou basé sur des
interventions visant uniquement à compenser les déficiences entraine une vision
déséquilibrée de l’autisme qui serait comme une somme de déficits à compenser
pour pouvoir accéder à l’emploi. Ce paradigme empêche de voir les compétences
développées par les personnes autistes (Armstrong, 2010).

Il est reconnu que l’autisme est associé à de nombreuses
forces et capacités qui pourraient être utilisées dans des environnements de
travail (de Schipper et al., 2016). Contrairement au modèle médical, une
approche basée sur les forces considère les aspects positifs qu’une personne
apporte au lieu de travail, comme ses talents, ses compétences et ses
aptitudes, et met en évidence les domaines de compétence (Steiner 2011).

Cette perspective favorise les opportunités, la performance
et la productivité en exploitant et en développant les forces d’un individu
plutôt que de compenser ses faiblesses (Lorenz et Heinitz, 2014; Russo, 1999).
Dans cette revue, seuls 14 articles ont examiné les compétences et les
capacités des employés autistes au regard des avantages que ces atouts
apportent au lieu de travail (Scott et al., 2017).

Bien que les compétences et les capacités des employés autistes
aient été identifiées, aucune étude n’a utilisé une approche fondée sur les
points forts pour améliorer les résultats en matière d’emploi. Seules deux des
14 études ont incorporé les compétences et les capacités des personnes autistes
dans le processus de recherche d’un emploi (Hagner et Cooney, 2005; Hillier et
al., 2007).

Les interventions auprès des adultes autistes devraient
plutôt viser à identifier les obstacles et les facteurs facilitant
l’acquisition d’un emploi et à atténuer leurs faiblesses en favorisant et en
renforçant leurs forces.

Cette revue a également mis en évidence le manque d’études
sur les interventions prenant en compte les facteurs environnementaux et le
rôle clé qu’ils jouent pour faciliter ou entraver la participation au travail.

Sur les 36 études basées sur les interventions, aucune n’a
abordé les facteurs environnementaux comme cible principale de l’intervention.
Cette constatation est préoccupante, étant donné que le handicap peut être
considéré comme une construction sociale influencée par l’environnement
(Shakespeare, 2013).

L’approche du modèle social conteste le concept de handicap
comme relevant de la responsabilité de l’individu et plaide plutôt pour une
action sociale visant à éliminer les obstacles et à modifier l’environnement
afin de promouvoir la pleine participation à tous les domaines de la vie
(Dempsey et Nankervis, 2006; Shakespeare, 2013).

Les employeurs sont considérés comme un facteur
environnemental dans le processus d’emploi, dont beaucoup occupent souvent des
positions influentes pour embaucher des employés potentiels, mettre en œuvre
des modifications du lieu de travail, promouvoir des cultures de travail
inclusives et appliquer des politiques et pratiques organisationnelles qui
éliminent les obstacles à la participation au travail (Erickson et al., 2014).

L’utilisation de supports naturels dans l’environnement de travail encourage les collègues à aider, entrainer et faire des retours aux salariés autistes (Storey, 2003). Malgré leur capacité à favoriser un environnement de travail plus adapté pour les employés autistes, les employeurs et les collègues de travail sont une ressource négligée et sous-utilisée.


Références : Factors impacting employment for people with autism spectrum disorder: A scoping review,  Autism. 2019 May;23(4):869-901