La puberté chez les jeunes filles autistes avec déficience intellectuelle

Cet article est le résumé d’une étude portant sur la puberté chez les jeunes filles autistes avec déficience intellectuelle dont vous trouverez les références en bas de page.

La puberté est une période de grand changement dans la vie d’une personne. Les changements physiques font partis de la transition entre enfance et âge adulte (Grover and Bajpai 2008).

Pour les filles, elle commence généralement aux alentours de 11 ans, avec une croissance accélérée, le développement de la poitrine, les poils du corps qui commencent à pousser et l’apparition des menstruations (Raine et al. 2011).

Ces changements physiques combinés à des changements psychosociaux, émotionnels et comportementaux qui se produisent simultanément, constituent ce que l’on appelle l’adolescence. Bien que cette période apporte des changements marqués, peu de recherches existent sur l’expérience de la puberté pour les jeunes filles autistes, et encore moins pour celles qui sont peu verbales et avec une déficience intellectuelle.

Les changements physiques peuvent être difficiles à gérer : la croissance liée à la puberté chez les jeunes filles autistes avec déficience intellectuelle peut causer des difficultés à celles qui ont besoin d’une assistance physique pour la mobilité, et le développement des seins peut causer de l’inconfort, en particulier pour les filles qui portent des harnais lors du transport (Zacharin 2009). L’apparition des règles peut également être particulièrement difficile, les femmes ayant une déficience intellectuelle déclarent que les menstruations ont un impact négatif sur leur bien-être (Ditchfield et Burns 2004), et les soignants favorisent souvent la gestion médicale des menstruations (Carlson et Wilson 1994).

Pour minimiser ces difficultés liées à la puberté chez les jeunes filles autistes avec déficience intellectuelle, il a été suggéré que des éducateurs spécialisés soient impliqués dès le début des menstruations, avec un enseignement adapté au niveau de compréhension et d’autonomie de chaque fille (Albanese et Hooper 2007; Joshi et Joshi 2015).

Les recherches sur la puberté pour les jeunes filles autistes se concentrent souvent sur la gestion des menstruations. Une étude récente de Steward et al. (2018) montre que les filles autistes ont souvent des difficultés sensorielles, émotionnelles et comportementales accrues durant le début des règles. Si cela est vrai aussi pour les filles non autistes, les filles autistes le vivent avec davantage d’intensité.

La question des règles est aussi un sujet d’inquiétude pour les parents qui cherchent des solutions médicales pour les supprimer, mais ces mêmes parents déclarent être surpris de la capacité d’adaptation de leurs filles (Koller 2000; Memarian and Mehrpisheh 2015).

La gestion des règles pour les filles passe par l’éducation (Koller 2000) et celle-ci doit être adaptée au niveau de compréhension de chaque personne. Cela est également mis en avant par des femmes autistes plus âgées (Steward et al. 2018).

Plusieurs techniques concrètes peuvent être mises en place pour faciliter les apprentissages de la puberté chez les jeunes filles autistes avec déficience intellectuelle : le chainage et l’utilisation de scénarios sociaux.

Points de définition :

Le chainage : il consiste à décomposer une tâche en plusieurs sous tâches et à renforcer petit à petit l’acquisition de chacune d’elles, jusqu’à ce que la tâche globale soit comprise et réutilisable.

Les scénarios sociaux : ils sont généralement utilisés auprès de personnes autistes. Une des dimensions de l’autisme étant la difficulté des personnes à s’adapter et à comprendre l’environnement social.

L’objectif du scénario social est d’illustrer une situation sociale de façon précise afin d’améliorer la compréhension sociale de l’élève ou son habileté à interagir socialement. Il vise ainsi l’adaptation de la personne à une situation ou un environnement (Gray et Garand, 1993).

Le scénario social est une courte histoire décrivant une situation sociale de façon détaillée et représentant ce qui est souhaité ou attendu de l’élève dans cette situation particulière. Le scénario social peut être écrit et illustré à l’aide de dessins, photos ou d’autres formes d’images.
Il est utilisé afin de présenter à la personne un comportement attendu, améliorer sa compréhension d’une situation sociale, expliquer un nouveau règlement ou un changement de routine. Source : Wikipédia

Il existe peu d’études sur la puberté chez les jeunes filles autistes avec déficience intellectuelle et minimalement verbales.

Cette étude vise à mieux comprendre les besoins de cette population en matière de support pour traverser cette période de leur vie ainsi que des besoins des parents et des éducateurs qui les accompagnent.

Méthode de l’enquête

Des entretiens ont été réalisés auprès de 10 parents de 9 filles autistes minimalement verbales habitant le Royaume Unis et l’Ireland et ayant en moyenne 14 ans et 8 mois. Les filles ont toutes un accompagnement en école spécialisée (= Institut Médico Educatif).

10 professionnels éducatifs ont également été interrogés. Elles ont toutes travaillé avec des filles autistes minimalement verbales ayant une déficience intellectuelle qui ont connu la puberté. L’ensemble des professionnelles sont des femmes ayant en moyenne 3 ans et 5 mois d’expérience avec ce public. Elles travaillent toutes en milieu spécialisé.

Deux grilles d’entretiens semi structurées à destination de chaque public (parents et éducatrices) ont été créées pour l’enquête. Les entretiens ont duré en moyenne 20 minutes pour les parents et 22 minutes pour les professionnelles.

Une analyse thématique (Braun and Clarke 2006) des enregistrements audio a ensuite été effectuée à partir des retranscriptions.

Trois thèmes ont émergé de cette analyse :

  • Une gamme d’expériences individuelles et besoins
  • L’importance de promouvoir le respect et la dignité
  • Identifier les moyens d’accompagner les filles pendant la puberté

Résultats sur la puberté chez les filles autistes avec déficience intellectuelle

Cette étude a montré que les filles autistes minimalement verbales avec déficiences intellectuelles ont une expérience plus positive de la puberté, comparativement aux inquiétudes des parents et des éducateurs en amont de cette période. Les filles vivent plutôt bien les différents changements liés à la puberté (menstruations, les seins qui se développent…).

Les menstruations ont été au centre des entretiens avec les parents et les éducateurs de cet échantillon – une conclusion sans surprise, étant donné que la majorité des recherches sur la puberté ont tendance à se concentrer sur les soins menstruels et l’hygiène (par exemple, Carlson et Wilson 1994; Joshi et Joshi 2015; Klett et Turan 2012; Veazey et al.2016).

Les parents et les éducateurs ont souligné combien la gestion menstruelle était essentielle pour promouvoir la dignité et le respect des filles : moins elles dépendent des autres, moins elles sont vulnérables.

Du point de vue de la dignité et de l’indépendance, je pense que plus la compétence est intime, plus il est important de la travailler

Un professionnel

Memarian and Mehrpisheh (2015) ont montré que la plupart des filles qui savent aller aux toilettes seules, sont en capacité d’apprendre à utiliser une serviette hygiénique. Pour ces filles, l’apprentissage de la gestion des règles est long et passe par l’acquisition de plusieurs petites étapes les unes après les autres.

Nous ouvrons tout pour elle et ensuite nous disons juste en quelque sorte ‘enlève ta serviette hygiénique’, vous savez, dans un sac, ‘mets ta serviette hygiénique’, donc c’est un langage très minimal et des étapes minimales pour garder les choses vraiment simples

Un parent

Les professionnels éducatifs insistent sur le fait que l’apprentissage de la puberté chez les jeunes filles autistes avec déficience intellectuelle doit être individualisé et que chaque étape doit permettre de les rendre plus indépendantes.

Il y a aussi nécessité de varier les supports car ce qui fonctionne pour une fille, ne fonctionnera peut être pas pour une autre (Steward et al. 2018).

Des études ont montré que les scénarios sociaux sont efficaces pour expliquer la puberté aux filles autistes (Klett and Turan 2012). Cependant les parents et professionnels déplorent le fait que ces scénarios sociaux ne sont souvent pas assez accessibles pour les filles autistes avec déficience intellectuelle minimalement verbales.

Par contre, les parents et les éducateurs ont trouvé que la «montre vibrante» (destinée à vibrer à intervalles fixes pour rappeler d’aller aux toilettes) est une ressource efficace pour ces filles pour promouvoir l’hygiène menstruelle. Cela permettrait de diminuer les interventions en aide humaine et donne plus d’indépendance aux filles autistes pour gérer leurs menstruations.

Un autre point important soulevé par les parents et les professionnelles est l’expression des douleurs liées aux menstruations. Les filles minimalement verbales ne peuvent que rarement exprimer les douleurs physiques. Il faut donc être attentif aux changements de comportement durant cette période.

Elle souffre d’horribles tensions pré-menstruelles (PMT) et elle a beaucoup de comportements (défis) une semaine avant ses règles

Un parent

Parce qu’elles ne sont pas en mesure de verbaliser leur douleur, vous devez juste les regarder … prédire simplement quel est le niveau de douleur et ce dont elles ont besoin

Un professionnel

L’école spécialisée est aussi un lieu de ressource pour éduquer les jeunes femmes à la période de la puberté, que ce soit par l’intermédiaire des professionnels éducatifs ou à l’aide d’un médecin expert (Albanese and Hooper 2007; Joshi and Joshi 2015).

La principale limite de cette étude est que le point de vu des filles elles-mêmes concernées n’a pas été recueilli puisque l’enquête se base sur les dires des parents et professionnels d’accompagnement. Les chercheurs ont proposé d’interroger les filles avec des cartes-images et qu’elles répondent avec un pouce levé ou baissé en guise d’accord ou non accord. Cependant seulement 4 parents ont donné leur accord pour que les filles soient interrogées et le matériel collecté était donc insuffisant.

Les chercheurs pointent le fait que les recherches futures devraient davantage s’intéresser aux personnes autistes minimalement verbales qui restent trop souvent exclues des recherches scientifiques.


Cummins C, Pellicano E, Crane L. Supporting Minimally Verbal Autistic Girls with Intellectual Disabilities Through Puberty: Perspectives of Parents and Educators. J Autism Dev Disord. 2020;50(7):2439-2448. doi:10.1007/s10803-018-3782-8