Les effets de la médiation animale chez les personnes autistes

Cet article est le résumé d’une étude publiée en juin 2020 dans le Journal of Autism and Developmental Disorders dont vous trouverez les références complètes en bas de page et qui aborde les effets de la médiation animale chez les personnes autistes sur le stress, la réponse sociale et l’estime de soi.

Les problèmes liés au stress, comme l’anxiété ou la dépression sont fréquents chez les personnes autistes et affectent 77 % de cette population (Joshi et al. 2013).

Le stress est souvent associé à la dépression et à l’anxiété (Vreeburg et al. 2010), à une mortalité prématurée et un moins bon état de santé générale (Slavich 2016) et aux difficultés de communication et d’interaction (Hirvikoski and Blomqvist 2015).

Plusieurs études, non spécifiques aux adultes autistes, ont montré que les interactions avec les animaux réduisent le niveau de stress (Beetz et al. 2012). Une étude de O’Haire en 2013 montre que pour les enfants autistes, il y a également une réduction du stress grâce aux Thérapies Assistées par les Animaux (TAA).

Des améliorations au niveau des interactions sociales et de la communication ont aussi été notées (Berry et al. 2013; Gabriels et al. 2015). Elles peuvent être particulièrement adaptées car les animaux ne communiquent pas de manière verbale, ce qui peut représenter une forme d’interaction moins stressante qu’un dialogue avec un thérapeute qui implique des aspects métacognitifs et de l’introspection (Verheggen et al. 2017).

L’hypothèse a été émise que dans les milieux thérapeutiques, les animaux agissent comme des catalyseurs sociaux, amenant les patients à devenir plus disposés à communiquer avec leur environnement social, ce qui facilite à son tour l’amélioration des interactions sociales et de la communication (Gabriels et al.2015).

Même si les études montrent des effets plutôt positifs de la TAA ou médiation animale chez les personnes autistes, il y a quand même des limites : les résultats ne peuvent pas toujours être généralisés, la taille des échantillons est parfois trop petite, les diagnostics d’autisme ne sont pas toujours vérifiés et les descriptions des interventions ne sont pas toujours précises.  Il peut aussi y avoir un manque de groupes témoins, de randomisation et de mesures de résultats validés (O’Haire 2013).

Les chercheurs ont fait une recherche sur les études parues entre 1995 et 2018 et aucune étude correspondant à leur critère n’incluait d’adulte autiste.

L’étude menée a pour objectif de contribuer à augmenter le corpus de la littérature scientifique sur le sujet des Thérapies Assistées par les Animaux ou médiation animale chez les personnes autistes, en incluant un public d’adultes autistes, jusque là peu étudié.

Les chercheurs ont utilisé une taille d’échantillon appropriée à une étude exploratoire, inclus un groupe contrôle, la randomisation et des mesures de résultats validés.

Les chercheurs ont posé l’hypothèse que les TAA ou médiation animale chez les personnes autistes peuvent réduire le stress dans cette population, améliorer la réponse sociale (conscience sociale, communication et motivation) et réduire la dépression et l’anxiété qui sont fortement liées au stress (Vreeburg et al. 2010).

Les chiens sont les animaux les plus couramment employés dans les TAA et ce sont les animaux pour lesquels il y a le plus d’études.

Les chercheurs ont donc ciblé les interventions de TAA faite avec des chiens et à destination d’un public de personnes autistes avec une intelligence normale à élevée.

Les chercheurs ont analysé trois dimensions de la médiation animale chez les personnes autistes :

  • l’impact sur le stress,
  • l’impact sur la communication et les interactions sociales,
  • l’impact sur l’estime de soi. Plusieurs études ont constaté que les personnes autistes avaient un niveau d’estime d’eux même plus faible que la population générale et une faible estime de soi est corrélée avec la dépression et l’anxiété (Cooper et al. 2017).

Méthode de la recherche

L’échantillon inclus les critères de sélection suivant : un diagnostic d’autisme, avoir entre 18 et 60 ans, avoir un QI de 80 ou au-dessus.

Puisque l’objectif était de tester les effets des animaux sur le stress, seules les personnes ayant un score élevé à l’échelle Perceived Stress Scale ainsi qu’à la Symptom Checklist-90-Revised, ont été inclus.

Les personnes ayant peur des chiens, ayant une psychose ou un risque suicidaire ont été écartées de l’étude.

Au total 68 personnes correspondaient aux critères d’inclusion de l’étude.

La Thérapie Assistée par les Animaux
La Thérapie Assistée par les Animaux (TAA) est une intervention semi-structurée orientée vers des objectifs, fournie par un professionnel certifié et un animal formé et certifié (IAHAIO 2014).
Les objectifs thérapeutiques des enfants autistes qui ont participé à des recherches antérieures sur la TAA étaient d’améliorer les interactions sociales, les compétences de communication verbale et non verbale et de réduire le stress physiologique (O’Haire 2013).

Le programme de TAA pour cet essai a été développé par des thérapeutes et des spécialistes du comportement canin de la fondation néerlandaise des chiens d’assistance Stichting Hulphond Nederland et des psychologues de l’organisation de soins de santé mentale GGZ Oost Brabant, spécialisés dans l’autisme. Le programme avait un protocole structuré et consistait en 10 séances individuelles hebdomadaires de 60 minutes par séance. Un chien de thérapie a été impliqué pendant toutes les séances de thérapie. Les thérapeutes qui dispensaient des TAA avaient un diplôme universitaire en soins de santé mentale et étaient spécialisés dans le travail avec des adultes autistes. De plus, les thérapeutes TAA avaient suivi des cours avancés sur le comportement et le bien-être des chiens.

Le stress perçu a été mesuré à l’aide de la Perceived Stress Scale (PSS; Cohen et Williamson 1988), qui contient dix items notés sur une échelle de Likert à cinq points allant de 0 «jamais» à 4 «très souvent».
Les symptômes psychologiques et physiques du stress ont été mesurés à l’aide de la liste de contrôle des symptômes révisée à 90 (SCL-90-R; Derogatis 1994).

Les déficits de la réponse sociale ont été mesurés à l’aide de l’échelle de réactivité sociale pour les adultes (SRS-A; Noens et al. 2012). La version néerlandaise du SRS-A contient 64 items et quatre sous-échelles: conscience sociale, communication sociale, motivation sociale, intérêts restreints et comportement répétitif. Chaque élément est noté sur une échelle de Likert à quatre points allant de 1 «faux» à 4 «presque toujours vrai».

L’estime de soi a été mesurée à l’aide de l’échelle d’estime de soi de Rosenberg (RSES; Rosenberg 1965), qui contient dix éléments, chacun noté sur une échelle de Likert à quatre points allant de 1 «très faux» à 4 «très vrai».

Discussion sur les résultats de la recherche sur la médiation animale chez les personnes autistes

Les résultats de cette étude exploratoire montrent que comparée au groupe témoin, la TAA avec les chiens réduit le stress et l’agoraphobie chez les adultes autistes. De plus, l’étude montre que la TAA ou médiation animale chez les personnes autistes réduit les difficultés au niveau de la réponse sociale (évaluée par les partenaires de vie des personnes, la famille proche et les amis).

Il y a aussi des indicateurs qui montrent une réduction des symptômes dépressifs. Ces effets positifs de plus ou moins grande importance durent jusqu’à 10 semaines.

Le taux de participation était élevé : 98 % ont suivi au moins 9 cessions de travail avec les chiens sur 10 cessions au total. Le taux est plus élevé que dans les autres études de même nature (Hesselmark et al. 2014; Turner-Brown et al. 2008; 62–92%). Les chercheurs déduisent que ce type d’intervention est possible pour les personnes qui sont motivées à y participer.

La diminution du stress peut être dû à une amélioration de la détection du niveau de stress interne par les personnes autistes et le fait qu’ils trouvent des solutions pour réduire ce niveau.

Cela peut être lié aussi au fait que lors de la TAA, un contexte relaxant est mis en place, comme par exemple du temps d’interaction libre avec le chien.

Plusieurs études montrent qu’il y a aussi des effets positifs au contact physique directe avec le chien qui peut aider à réduire le stress (Beetz et al. 2012).

Deux études (Tabares et al. 2012; Viau et al. 2010) ont montré une diminution du stresse physique par une baisse du niveau de cortisol.

Bien que l’intervention ait montré une réduction des problèmes psychologiques et physiques, cet effet n’a pas atteint le niveau de signification statistique pour un score d’échelle combinée, et la taille d’effet n’a dépassé que légèrement le seuil de signification clinique.

De manière étonnante, l’exploration des sous échelles montre des effets sur l’agoraphobie. Cette variable n’a jamais été investiguée avec les enfants autistes dans la recherche scientifique. Une explication possible de l’effet sur l’agoraphobie peut être qu’au cours des trois dernières séances de l’intervention, les participants, accompagnés du thérapeute et du chien, ont travaillé sur les peurs sociales et le contrôle des stimuli environnementaux en quittant l’établissement de santé mentale et en pratiquant dans le monde extérieur.

Une autre explication possible est que la diminution du niveau de stress ait une influence sur l’agoraphobie car les deux sont liés (Vreeburg et al. 2010).

En plus des résultats pour l’agoraphobie l’analyse montre une réduction significative des scores liés à la dépression dans les conditions d’intervention. Cependant lorsque les résultats sont corrigés avec les covariables cet effet n’atteint pas un niveau statistique significatif. Des recherches plus approfondies seraient nécessaires pour investiguer cette piste de travail.

Il est possible que la réduction du stress perçu réduise aussi la dépression car il existe un lien entre les deux (Vreeburg et al. 2010).

Il est aussi possible que l’activité physique et les contacts sociaux durant les cessions aient une influence sur le sentiment dépressif.

Dans cette étude les résultats en matière d’amélioration de la réponse sociale correspondent à ceux observés dans les études avec les enfants autistes.

Cependant, ces dernières études montrent principalement des améliorations à un niveau plus basique de la communication sociale (par exemple, regarder les yeux, faire des sons ou parler avec des mots), qui ont été évaluées à l’aide d’observations et d’enregistrements vidéo (O’Haire 2013).

Gabriels et coll. (2015) ont utilisé le même instrument que celui utilisé dans notre étude, mais pour mesurer la réactivité sociale dans un programme d’équitation thérapeutique pour les enfants autistes. Ils ont trouvé des résultats similaires dans les rapports indirects et ont émis l’hypothèse que l’amélioration des compétences de communication sociale pourrait être attribuée à la capacité unique des animaux à servir de soutien social ou à agir comme catalyseur social dans un cadre thérapeutique.

Les résultats n’ont montré aucun effet d’intervention significatif sur l’estime de soi. La littérature montre que les interventions axées directement sur l’amélioration de l’estime de soi sont plus efficaces que les interventions axées sur d’autres cibles (Haney et Durlak 1998), comme c’était le cas dans cette étude. Contrairement au stress élevé et aux symptômes psychologiques, une faible estime de soi n’était pas un critère d’inclusion pour les participants. Dans les recherches futures, il est important de considérer comment l’estime de soi devrait être ciblée dans les TSA, en particulier lorsque les participants montrent des niveaux moyens, comme ils l’ont fait dans notre étude.

Médiation animale chez les personnes autistes : un dessin humoristique

Limites de l’étude et perspectives

Une des limites de la recherche est la taille relativement petite de l’échantillon. Il est possible que certains des effets soient significatifs dans un échantillon plus large. Cette étude ayant un caractère exploratoire, un échantillon de 30 à 40 participants a été considéré comme suffisant (Hertzog 2008).

Une autre limite est qu’une généralisation des résultats pourrait être limitée en raison du manque de diversité ethnique de l’échantillon et de l’exclusion des personnes institutionnalisées, des personnes ayant une déficience intellectuelle et des personnes ayant peur des chiens.

D’après les chercheurs, il s’agit du premier essai contrôlé randomisé qui a démontré les avantages d’une intervention impliquant des chiens chez des adultes autistes. En raison de ses effets cliniquement pertinents et du respect strict des protocoles de recherche mis en place, la TAA ou médiation animale chez les personnes autistes peut être considérée comme une thérapie à étudier dans le cadre d’une réduction du stress pour les personnes autistes. Des recherches supplémentaires sont nécessaires sur les effets de l’AAT chez les personnes autistes et avec des échantillons de plus grande taille.


Référence : Wijker C, Leontjevas R, Spek A, Enders-Slegers MJ. Effects of Dog Assisted Therapy for Adults with Autism Spectrum Disorder: An Exploratory Randomized Controlled Trial. J Autism Dev Disord. 2020;50(6):2153-2163.




Le camouflage social chez les personnes autistes

Le camouflage social chez les personnes autistes est un terme utilisé pour décrire les comportements qui consistent à cacher ou masquer des aspects de soi même (notamment ses caractéristiques autistiques) vis-à-vis d’autrui pour « traverser » les interactions sociales quotidiennes (Hull et al. 2017). Le camouflage est une expérience communément rencontrée par les personnes autistes lorsqu’elles naviguent dans le monde des personnes non autistes (Bargiela et al. 2016; Hull et al. 2017).

Propos introductifs sur le camouflage social chez les personnes autistes

L’autisme est une condition neurodéveloppementale, avec des difficultés dans les relations sociales et la communication sociale, ainsi qu’une attention accrue aux expériences sensorielles et aux détails (APA 2013). Il y a une prévalence élevée de problèmes de santé mentale chez les personnes autistes, tels que la dépression (Stewart et al. 2006), l’anxiété (Gillott et Standen 2007), l’anxiété sociale (Maddox et White 2015) et les comportements et idées suicidaires (Cassidy et al. 2014; Hirvikoski et al. 2016).

Les premières recherches sur le camouflage social chez les personnes autistes semblent montrer que celui-ci a un impact négatif sur la santé mentale (Bargiela et al. 2016; Cage et al. 2018a). Mais il existe encore peu de recherches dédiées à ce sujet pour mieux comprendre l’expérience du camouflage chez les adultes autistes, notamment dans quels contextes celui-ci intervient ainsi que le coût et les raisons pour lesquelles il est utilisé par les personnes autistes.

Une étude qualitative de Hull et al. (2017) montre que le camouflage social chez les personnes autistes peut être physiquement et mentalement fatiguant. Les participants rapportent qu’ils sont anxieux et stressés après avoir pratiqué le camouflage et ils se sentent dépossédés de leur identité.

Dans une autre étude qualitative, Bargiela et al. (2016) ont
interrogé des femmes autistes diagnostiquées tardivement et ont également noté
ce sentiment d’épuisement après le camouflage et l’impact négatif sur
l’identité. Dans une étude quantitative, Cage et al. (2018a) ont constaté que
les participants qui déclaraient spontanément se camoufler présentaient des
symptômes de dépression plus importants et se sentaient moins bien acceptés par
les autres. Le camouflage s’est également révélé être un marqueur de risque de
suicide chez les adultes autistes (Cassidy et al. 2018).

Ces études suggèrent l’effort fait pour se camoufler est
coûteux pour le bien-être et peut avoir des conséquences négatives sur des
constructions psychologiques telles que l’identité.

La camouflage social chez les personnes autistes

Selon le contexte dans lequel elles se trouvent les
personnes autistes vont plus ou moins utiliser le camouflage. On appelle cela
la théorie de la déconnexion. Cette théorie repose essentiellement sur l’idée
que les individus utilisent des informations spécifiques à un contexte pour
informer de la manière dont ils vont agir dans ce contexte, plutôt que de
s’engager dans tous les contextes de la même manière (Ragins 2008). En
conséquence, il y a une «déconnexion» de la présentation de soi et de
l’engagement entre différents contextes: par exemple, une personne peut décider
de discuter ouvertement de son identité autiste avec des amis mais pas avec des
collègues. Ragins (2008) suggère que plus les personnes font appelle à cette
déconnexion, plus cela nuit à la santé mentale. Cela peut aboutir à une fragmentation
de l’identité, de l’anxiété, du stresse et même aller jusqu’à la dépression
(Bowen and Blackmon 2003; Ragins 2008).

Il semblerait que la théorie de la déconnexion (Ragins 2008)
n’a pas été appliquée au camouflage. Il se peut que les personnes autistes
subissent une «déconnexion de camouflage» en se dissimulant dans certains
contextes, mais pas tous. Selon la théorie de la déconnexion (Ragins 2008), une
déconnexion plus importante du camouflage pourrait être liée à une réduction du
bien-être psychologique.

Si le camouflage social chez les personnes autistes est préjudiciable à la santé mentale, il est important de comprendre pourquoi de nombreuses personnes autistes y ont recours. Par conséquent, cette étude visait également à examiner les raisons possibles du camouflage. Il est toutefois concevable que les raisons du camouflage diffèrent selon le sexe de l’individu. Il existe des résultats mitigés concernant les différences de camouflage entre les sexes: une des hypothèses est que le camouflage contribue au diagnostic tardif ou erroné de l’autisme chez les femmes (Lai et al. 2015). Par exemple, Lai et al. (2017) ont constaté que les femmes autistes avaient des scores plus faibles que les hommes à l’ ADOS (Lord et al., 2000), ce qui reflétait leur «présentation externe», mais elles avaient des scores comparables pour les mesures de « présentation interne » des traits autistiques. Lai et al. (2017) fait valoir que le camouflage est plus fréquent chez les femmes en raison d’une plus grande différence entre les comportements «internes» et «externes» des manifestations de l’autisme, celles liées aux différences de diagnostic pour les femmes autistes.

Une autre hypothèse est que les hommes et les femmes
pratiquent tous deux le camouflage mais pas pour les mêmes raisons en partie
liées aux attentes sociales.

Certaines études (Cage et al. 2018a; Hull et al. 2017) ont montré qu’il y a peu de différence de genre dans le camouflage. Le camouflage social chez les personnes autistes apparait souvent en réponse à la stigmatisation. Les femmes autistes auraient une double contrainte : celle d’être autiste et celle d’être femme. C’est ce qu’on appelle l’intersectionnalité.

Définition de l’intersectionalité: L’intersectionnalité (de l’anglais intersectionality) est une notion employée en sociologie et en réflexion politique, qui désigne la situation de personnes subissant simultanément plusieurs formes de stratification, domination ou de discrimination dans une société. Le terme a été proposé par l’universitaire afro-féministe américaine Kimberlé Crenshaw en 19891 pour parler spécifiquement de l’intersection entre le sexisme et le racisme subi par les femmes afro-américaines, les conséquences en matière de pouvoir, et expliquer pourquoi ces femmes n’étaient pas prises en compte dans les discours féministes de l’époque2. Le sens du terme a depuis été élargi dans les années 2010 avec la montée du cybermilitantisme et englobe désormais toutes les formes de discriminations qui peuvent s’entrecroiser (source Wikipédia).

Saxe (2017) soutient que les expériences des femmes autistes
peuvent être considérées dans un cadre intersectionnel – dans lequel les femmes
autistes sont marginalisées en raison de la focalisation masculine qui a dominé
le discours sur l’autisme.

Pour les hommes autistes les raisons du camouflage seraient
liées à la stigmatisation par rapport à l’autisme, sans que s’ajoutent les
préjugés liés à la féminité.

Plusieurs hypothèses vont être testées dans cette
étude :

1. Le camouflage déconnecté (le fait de se camoufler dans
certains contextes et pas dans tous) a un impact négatif sur le bien être
psychologique

2. Il existe des différences de genre dans les raisons qui
amènent les personnes au camouflage

3. L’âge du diagnostic peut influencer le camouflage, étant
donné que le camouflage peut être lié à un diagnostic erroné ou tardif.

Méthodes de l’enquête

L’échantillon se compose de 262 personnes autistes adultes âgées de plus de 18 ans, avec un âge moyen de 33.62. Les diagnostics ont ensuite été validés avec le Ritvo Autism and Asperger Diagnostic Scale (Eriksson et al. 2013). Les participants ont également rapporté d’autres diagnostics qui correspondent aux comorbidités habituellement retrouvées dans l’autisme (anxiété 51.9%, dépression 50.8%, ADHD 14%).

135 personnes sont des femmes, 111 sont des hommes, 12
participants sont non binaires ou a-genres, 4 personnes n’ont pas souhaité
dévoiler leur genre.

Au commencement de la recherche, les personnes ont été consultées concernant la pertinence de ce sujet pour la communauté des personnes autistes et l’enquête a été revue avec deux personnes autistes. Le questionnaire a été mis en ligne sur la plateforme Qualtrics et le temps de réponse était d’environ 20 minutes.

Trois profils-types de « camoufleurs » sont
identifiés dans cette étude :

  • Les personnes à haut niveau de camouflage : ce sont des personnes autistes qui pratiquent le camouflage social tout le temps, indépendamment du contexte
  • Les switchers : ce sont des personnes autistes qui vont modifier leur utilisation du camouflage selon les contextes dans lesquels ils interagissent (voir la théorie de la déconnexion évoquée précédemment)
  • Les personnes à faible niveau de camouflage : ce sont des personnes qui utilisent peu le camouflage social quelque soit le contexte

Résultats de l’enquête sur le camouflage social chez les personnes autistes

Hypothèse 1 : Le camouflage déconnecté (le fait de se camoufler dans certains contextes et pas dans tous) a un impact négatif sur le bien être psychologique

En utilisant la théorie de la déconnexion, deux contextes de camouflage ont été identifiés, formel et interpersonnel :

  • Contexte formel : comme le milieu de travail ou le milieu médical lors des RDV avec les professionnels médicaux
  • Contexte interpersonnel : où les interactions sont plus personnelles, comme les amis ou la famille

Les participants qui se camouflent dans l’un ou l’autre de ces contextes (switchers) montrent autant de symptômes d’anxiété et de stresse que ceux qui utilisent un camouflage élevé dans les deux contextes. Ceux qui utilisent peu le camouflage montrent des signes de stresse moins élevés que les personnes qui se camouflent selon le contexte ou qui ont un haut niveau de camouflage et une anxiété plus faible que ceux qui ont un haut niveau de camouflage.

Le camouflage apparait bien comme étant couteux en stresse
et en anxiété et le camouflage partiel (selon les contextes) pourrait être
aussi couteux que le camouflage continuel.

Deux explications au camouflage ont été trouvées :

  • Les raisons conventionnelles : faire
    illusion dans des contextes formels comme le travail ou l’éducation
  • Les raisons relationnelles : faire illusion
    dans les relations avec autrui

Les femmes sont plus enclines à adopter le camouflage pour
des raisons conventionnelles que les hommes.

L’analyse qualitative des réponses libres montrent également que le camouflage est adopté pour « passer » dans le monde des personnes non autistes, pour éviter d’être harcelé ou encore pour essayer de mieux gérer les impressions d’autrui.

Quelques citations extraites de l’analyse qualitative sur les raisons de l’utilisation du camouflage (traduction libre) :

Because society expects you to behave like neurotypical people

Parce que la société attend que vous vous comportiez comme les gens neurotypiques

To get through situations as painlessly and as quickly as possible

Pour traverser les situations le moins douloureusement et le plus rapidement possible

To stop bullying and mocking as I’ve experienced this when not masking

Pour éviter le harcèlement et les moqueries que j’ai vécu quand je ne me cachais pas

Because it makes my wife less embarrassed to be seen with me

Parce que ma femme est moins gênée d’être vue avec moi

Dans le contexte du camouflage social chez les personnes autistes, la théorie de la déconnexion n’est que partiellement validée. Selon cette théorie, les personnes qui se camouflent d’un contexte à un autre (switchers) devraient avoir un niveau plus élevé de stresse. Or les switchers et les personnes qui ont un haut niveau de camouflage ont un niveau de stresse comparable.  Cette découverte suggère que la déconnexion pourrait engendrer autant de tensions psychologiques sous forme de stresse qu’un taux de camouflage toujours élevé.

Ces niveaux de stresse équivalents pourraient être le résultat de la dissimulation de l’identité dans différents contextes (Ragins et al. 2007).

Les résultats obtenus pour les personnes qui ont un haut
niveau de camouflage correspondent aux études précédentes établissant une
corrélation entre les symptômes de santé mentale et le camouflage (Cage et al.
2018a; Hull et al. 2017). Alors que ceux qui changent ont moins d’impact en
cachant constamment leur identité, ils doivent néanmoins dépenser de l’énergie
pour évaluer le risque perçu de révéler leur identité autistique dans chaque
contexte. Cette autorégulation constante peut donc les amener au même niveau de
stress que ceux qui se camouflent constamment.

Pour ce qui est de l’anxiété, les personnes ayant un haut
niveau de camouflage  ont cependant
montré des symptômes d’anxiété significativement plus élevés que les personnes
avec un faible niveau de camouflage.

Une des explications pourrait être que les personnes qui qui
se camouflent tout le temps ont moins d’occasion de « retirer le masque »,
il y a donc une tension constante sur l’identité. Cela correspond aux
recherches précédentes qui traitent de l’anxiété et du camouflage social chez
les personnes autistes (Hull et al. 2017).

Cette anxiété peut aussi être liée au manque d’un espace
libre dans lequel pourrait s’exprimer l’identité réelle de la personne, comme
le montre d’autres recherches sur le sujet (Bargiela et al. 2016; Hull et al.
2017).

Une autre explication pourrait être que les personnes
autistes adoptent le camouflage en réponse à un fort niveau d’anxiété sociale.

Les chercheurs n’ont pas trouvé de différences entre les
trois profils types concernant la dépression. Il convient de noter que les niveaux
de dépression étaient élevés, en particulier par rapport aux scores de la
population non autiste (score moyen de 19,68 contre 5,66 dans Henry et
Crawford, 2005)

Cette constatation est en contradiction avec la découverte
de Cage et al. (2018a) qui montre des symptômes dépressifs plus élevés, mais
pas d’anxiété ni de stress, chez ceux qui se sont camouflés par rapport à ceux
qui ne l’ont pas fait.

Hypothèse 2 : Il existe des différences de genre qui expliquent les raisons du camouflage

La présente étude a trouvé des différences de genre,
notamment dans les raisons qui expliquent le camouflage. Les femmes adoptent
davantage le camouflage social pour des raisons conventionnelles que les
hommes. Cela ce produit dans le milieu du travail ou à l’école.

Il n’y a pas de différence de genre dans l’utilisation du
camouflage pour des raisons relationnelles, comme se camoufler pour se faire
des amis ou s’intégrer.

Les hommes et les femmes utilisent tous deux davantage le
camouflage pour des raisons conventionnelles que pour des raisons personnelles
mais les femmes le font dans des proportions plus importantes.

 Il convient de noter
que les hommes et les femmes consentent davantage aux raisons conventionnelles
qu’aux raisons relationnelles, mais les femmes font davantage appel aux raisons
conventionnelles que les hommes.

Ces résultats pourraient être expliqués par une approche
intersectionnelle du camouflage. L’intersectionnalité permet d’expliquer que
les femmes autistes se heurtent à des barrières spécifiques imposées par un
discours dominé par les hommes autour du sujet l’autisme (Saxe 2017).

En effet, dans l’étude Bargiela et al. (2016), des femmes
diagnostiquées tardivement ont expliqué qu’elles avaient du mal à s’adapter aux
attentes de la société concernant les rôles genrés (comme être une mère ou une
petite amie). Comme les femmes constituent souvent une minorité marginalisée
avec statut social minimisé, les femmes autistes ont plusieurs statuts
minoritaires, ce qui peut avoir contribué aux résultats de cette étude.

Pour comprendre la notion de camouflage sociale chez les
personnes autistes il semble important de prendre en compte le poids de la
société et des représentations stéréotypées qu’elle peut imposer aussi bien
vis-à-vis des femmes que de l’autisme.

Hypothèse 3 : L’âge du diagnostic peut influencer le recours au camouflage étant donné que le camouflage peut être lié à un diagnostic erroné ou tardif.

Les adultes diagnostiqués tardivement ont davantage recours
au camouflage pour des raisons conventionnelles alors que les enfants autistes
ont un taux égal de camouflage pour des raisons conventionnelles ou
relationnelles.

Les personnes autistes diagnostiquées tardivement ont passé
plus de temps à « naviguer » dans différentes situations sociales
sans avoir de soutien. Un accompagnement mis en place plus tôt dans la vie aurait
pu leur être bénéfique, notamment à l’école (Jones et al. 2014). Même pour les
adultes autistes il y a un manque d’accompagnement après le diagnostic qui est
préoccupant (Crane et al. 2018).

Des données qualitatives complémentaires ont permis de mieux
comprendre les raisons du camouflage :

1. En premier cela est dû à l’importance pour les personnes
autistes d’essayer de s’intégrer et de correspondre aux attentes sociales de la
société (Hull et al. 2017)

2. En second le camouflage est mis en place pour essayer d’éviter le harcèlement et les représailles. Les personnes autistes sont fréquemment des cibles pour les agresseurs (Schroeder et al. 2014) et elles ont quatre fois plus de chance d’être victime de harcèlement que leurs paires non autistes (Sterzing et al. 2012).

En effet, des études antérieures ont montré que les
individus autistes font souvent état d’expériences de stigmatisation
(Shtayermman 2009), de malentendus et de sous-estimation de leurs capacités
(Heasman et Gillespie 2017) Les personnes non autistes ont aussi tendance à
avoir une mauvaise première impression des personnes autistes (Sasson et al.
2017) et à les déshumaniser (Cage et al. 2018b).

Ces résultats suggèrent que les personnes autistes
rencontrent un «problème de double empathie» (Milton 2012) : les personnes
autistes ont des difficultés à comprendre le monde social des personnes non
autistes et les personnes non autistes ont du mal à comprendre le
fonctionnement social des personnes autistes.

Avec les taux élevés de camouflage rapportés chez les personnes autistes, comme montré dans cette étude et dans d’autres (par exemple, Hull et al. 2017), il apparaît que les autistes investissent beaucoup de temps et d’énergie dans la compréhension et la tentative d’intégration au monde des personnes non autistes (souvent au détriment de leur santé mentale) et à l’inverse les personnes non autistes semblent peu essayer de comprendre le fonctionnement des personnes autistes. Étant donné l’impact potentiel de la non-acceptation sur la santé mentale des personnes autistes (Cage et al. 2018a), il est essentiel de mener davantage de recherches sur l’amélioration de l’attitude des personnes non autistes à l’égard de l’autisme.

Je vous propose un schéma qui récapitule les points principaux mis en lumière par cette étude :

Le camouflage social dans l’autisme

Limites de l’étude et perspectives

L’échantillon est relativement homogène en matière
d’ethnicité et d’éducation, avec une majorité de personnes caucasiennes avec un
niveau d’étude plutôt élevé. De plus l’échantillon ne concernait que des personnes
autistes verbales avec un haut niveau de fonctionnement.

Cette étude peut avoir plusieurs implications
cliniques : en matière de diagnostic d’autisme, les cliniciens devraient
être informés de ce qu’est le camouflage et comment il fonctionne pour les
personnes autistes. Ils devraient avoir à l’esprit que les attentes social
vis-à-vis du genre et de l’autisme entrainent des comportements de camouflage
qui peuvent rendre plus difficile la pose du diagnostic.

De plus, les cliniciens doivent comprendre en quoi le camouflage social chez les personnes autistes peut être une stratégie mal adaptée, étant donné les coûts importants identifiés pour le bien-être psychologique.

On pourrait faire valoir que le camouflage présente un avantage adaptatif, par exemple pour aider à naviguer dans de nouveaux environnements ou, comme mentionné dans les réponses qualitatives de la recherche actuelle, pour simplement «traverser des situations aussi facilement et aussi rapidement que possible».

Autistes et non-autistes peuvent utiliser des stratégies de
présentation de soi pour donner une impression positive à autrui et pour
naviguer dans des situations sociales (Cage et al.2013; Scheeren et al. 2016).
Cependant, pour les personnes autistes, les aspects potentiellement adaptatifs
du camouflage reflètent en fin de compte le manque de compréhension produit par
la société et les efforts immenses que doivent faire ceux qui ne rentrent pas
dans ce monde pour «passer», éviter de se faire intimider, ou faire reconnaître
leur travail.


Understanding the Reasons, Contexts and Costs of Camouflaging for Autistic Adults, Eilidh Cage, Zoe Troxell‑Whitman, Journal of Autism and Developmental Disorders (2019)