Le harcèlement chez les personnes autistes : le cas des étudiants universitaires

Un grand merci à Céline Pagan qui a accepté de mettre « Squeletto » au service de l’illustration de cet article qui aborde le sujet du harcèlement chez les personnes autistes. Céline Pagan est une personne autiste, artiste, à l’univers bien marqué qui lui a valu la mention « pour le caractère et la personnalité de ses dessins » à l’école Emile-Cohl où elle a étudié. Dessinatrice, peintre et professeur de dessin, elle explore au travers de ses œuvres des thématiques comme le syndrome d’Asperger au féminin ou les animaux. Vous pouvez retrouver quelques-unes de ses créations sur son site internet

Cet article est un résumé de l’étude suivante « Brief Report: Bullying and Anxiety in High-Functioning Adolescents with ASD » Gerrit van Schalkwyk, Isaac C. Smith, Wendy K. Silverman, Fred R. Volkmar publiée en mai 2018 dans le Journal of Autism and Developmental Disorders.

Des recherches récentes soulignent une forte prévalence du harcèlement chez les personnes autistes.

 

 

État des lieux sur le harcèlement chez les personnes autistes

Une étude menée par Sterzing et al. 2012 a analysé le taux de harcèlement chez les personnes autistes dans un échantillon de 900 parents de jeunes autistes âgés de 13 à 16 ans. Un taux de 46.3 % de jeunes victimes de harcèlement a été trouvé, il est significativement supérieur à celui trouvé dans la population générale des adolescents qui s’élève à 10.6 % (Nansel et al. 2001). Une étude de Cappadocia et al. 2012 qui porte sur un échantillon de 192 parents de jeunes autistes âgés de 5 à 21 ans montre que 54 % des situations de harcèlement durent plus d’un an. Les jeunes avec des traits autistiques moyens à élevés ont plus de chance de se faire harceler que les jeunes qui ont des traits autistiques plus faibles et/ou moins visibles (Zablotsky et al. 2014).

Dans une étude de Weiss et al. Publiée en 2015 qui porte sur 101 mères d’adolescents autistes âgés de 12 à 21 ans, 36 % déclarent que leur enfant se fait harceler deux fois par semaine ou plus. Cette étude montre aussi qu’il y a une corrélation entre le harcèlement et la sévérité des symptômes de l’anxiété. Les jeunes qui ont subi du harcèlement ont plus de chance de développer un trouble anxieux à l’âge adulte (Sourander et al. 2007).

Si les données montrent que les enfants autistes sont plus susceptibles d’être victime de harcèlement que les enfants de la population générale, il n’existe à ce jour aucune donnée concernant les jeunes adultes autistes qui entrent à l’université.

Pourtant c’est une période marquée par des changements importants, comme l’apparition de cours magistraux en amphithéâtre qui réunissent un nombre plus conséquent de personnes, une augmentation des demandes sociales ou un changement de domicile avec parfois une première expérience de vie quotidienne seul en dehors de la famille.

Au vu de ces changements, beaucoup d’étudiants autistes ont besoin d’un soutien psychologique et d’une attention clinique soutenue (Adreon and Durocher 2007; Brown et al. 2012; van Schalkwyk et al. 2016; Wolf et al.2009). Dans ce cadre et afin de proposer un accompagnement psychologique mieux adapté il est important de savoir si les étudiants subissent du harcèlement, car cela peut réduire leur chance de réussite à l’université.

Les premiers travaux ont surtout exploré la perspective des parents (Weiss et al. 2015; Zablotsky et al. 2014), mais il serait intéressant à l’avenir de recueillir aussi le point de vue des enfants et adolescents eux-mêmes et de voir si celui-ci diffère des éléments rapportés par les parents.

L’objectif de cette étude est d’évaluer le taux de harcèlement chez les personnes autistes et en particulier les étudiants, le niveau d’anxiété et les caractéristiques de l’autisme sur un échantillon d’étudiants universitaires autistes et d’examiner les liens entre ces trois éléments. Dans cette étude les parents et les individus autistes eux-mêmes seront interrogés afin de s’éloigner des protocoles de recherche qui jusque-là interrogeaient uniquement les parents.

 

Méthode de l’enquête portant sur le harcèlement chez les personnes autistes

Une conférence a été donnée au Yale Child Study Center en avril 2015 sur la thématique de la préparation du passage à l’université pour les étudiants autistes. Un courrier a été envoyé par la suite aux familles concernées et un échantillon de 35 familles a ainsi pu être déterminé. Tous les étudiants concernés ont eu un diagnostic d’autisme selon les DSM-4 ou le DSM-5.

Le protocole de recherche a été établi comme suit :

  •  Un parent de chaque participant a fourni des informations démographiques sur l’étudiant concerné et a complété la version parentale du Multidimensional Anxiety Scale for Children 2 (MASC/P-2, échelle qui mesure l’anxiété) et du Social Responsiveness Scale  (SRS-2, échelle qui mesure les difficultés sociales liées à l’autisme). Ils ont également répondu à des questions pour savoir si leur enfant était concerné par le harcèlement.
  •  Les étudiants ont complété la version adolescente du MASC/C-2 et leur expérience en matière de harcèlement a été évaluée en utilisant un outil appelé My Life in School questionnaire (MLS; Sharp et al. 1994)

Les données ont été analysées en utilisant un outil statistique appelé SPSS Statistics Version 22 (IBM) qui calcule les déviations standards pour les échelles et les sous-échelles. Les corrélations sont calculées entre les données rapportées par les parents et les étudiants concernant le harcèlement et l’anxiété.

 

Dessin de Céline Pagan

Résultats de l’enquête sur le harcèlement chez les étudiants autistes

Concernant le harcèlement, 31 % des parents rapportent que leur enfant en a été victime dans le mois passé contre 51 % des étudiants eux-mêmes. Le score moyen des symptômes de l’anxiété évalué par le MASC-2 était de 54.5 pour les parents et de 56.4 pour les étudiants. Le score moyen obtenu à l’échelle de mesure des difficultés sociales est de 87.8 et aucune différence de genre n’a été identifiée concernant ce score. L’échantillon comprend 23 hommes et 11 femmes et une personne ayant une autre identification de genre.

Cette étude montre que le harcèlement reste un problème majeur pour les adolescents (51 %) lorsqu’on les interroge.

Une étude de Eslea and Rees 2001 montre que chez les adolescents non autistes, le harcèlement intervient surtout au début de l’adolescence, alors que pour les adolescents autistes le harcèlement est encore valable à la fin de l’adolescence, comme le montre une étude de Sterzing et al. 2012 et cela est d’autant plus vrai pour les adolescents autistes avec le moins de compétences sociales.

Cette étude est la première à analyser le harcèlement chez les jeunes adultes autistes à haut niveau de fonctionnement et les résultats rejoignent ceux de Sterling et al.

Les chercheurs ont aussi identifié un taux plus important de harcèlement chez les étudiants qui étaient les plus anxieux socialement. L’étude a permis de déterminer un lien de corrélation entre le harcèlement et l’anxiété sociale. Cela laisse supposer qu’une forte anxiété sociale peut augmenter le risque de harcèlement chez les personnes autistes, ou même que l’intimidation peut aggraver l’anxiété sociale. Le traitement de l’anxiété sociale pourrait donc avoir des avantages en terme de réduction du harcèlement chez les personnes autistes en plus de son objectif principal de réduire les symptômes anxieux.

Une part conséquente de la littérature qui s’intéresse au traitement de l’anxiété chez les jeunes autistes a mis en avant l’efficacité des thérapies cognitivo-comportementales (Lang et al. 2010; White et al. 2010; Wood et al. 2009).

Il est intéressant de constater aussi que dans cette étude, le taux de harcèlement rapporté par les parents et celui rapporté par les étudiants ne sont pas corrélés alors qu’il y a par exemple corrélation par rapport au niveau d’anxiété rapporté par les deux groupes. Plusieurs hypothèses sont envisagées par les chercheurs :

– les étudiants ont rapporté des types de harcèlement moins connus par les parents comme le cyber-harcèlement

– les étudiants étant en train de traverser une période de transition impliquant parfois un éloignement du domicile familial, sont moins enclins à parler à leurs parents des situations de harcèlement qu’ils peuvent vivre.

Cette dernière hypothèse montre bien l’importance qu’il existe à interroger directement les jeunes concernés et non pas que les parents, car cela pourrait entrainer une estimation faussée à la baisse des cas de harcèlement chez les enfants ou les jeunes adultes.

 

Les limites de l’étude

Cette étude sur le harcèlement chez les personnes autistes, en particulier chez les étudiants,comporte plusieurs limites :

  •  la faible taille de l’échantillon (35 personnes)
  • l’influence sur les résultats du fait que l’anxiété soit une comorbidité courante de l’autisme (avec un taux de 50% selon White et al. 2009).
  •  le test de mesure de l’anxiété (MASC) n’est pas spécifique aux personnes autistes et il pourrait fonctionner différemment chez les personnes autistes par rapport à la population générale selon une étude de White et al. 2015

Néanmoins cette étude est la première à mettre en avant la persistance du risque de harcèlement chez les adolescents plus âgés et elle devrait être répliquée afin de voir si les résultats sont les mêmes. L’objectif étant d’agir sur la prévention et l’accompagnement du harcèlement chez les personnes autistes avec une attention spécifique pour les jeunes adultes.

 


Source :

« Brief Report: Bullying and Anxiety in High-Functioning Adolescents with ASD » Gerrit van Schalkwyk, Isaac C. Smith, Wendy K. Silverman, Fred R. Volkmar publiée en mai 2018 dans le Journal of Autism and Developmental Disorders.




Le projet chatounets

Le projet Chatounets : compréhension littérale des expressions

Cela fait quelques mois que je travaille sur un projet que j’ai intitulé dans ma tête « projet chatounets » (il faudra sans doute que je lui trouve un vrai nom par la suite).

Ce « projet chatounets » est né d’une phrase que j’entends souvent « l’autisme c’est compliqué ». Et c’est vrai. Les non initiés, les personnes qui ne connaissent pas encore l’autisme et souhaitent se renseigner sur le sujet sont confrontés à des termes pour le moins obscurs pour un néophyte : « dyade autistique », « intérêts répétitifs et restreints », « comorbidités », « troubles des interactions sociales » et autre « hypo/hyper sensibilités ».

Tous ces termes expliquent le fonctionnement de la personne autiste et c’est l’objectif de mon site internet que d’expliciter à quoi ils correspondent. Pour autant, une définition théorique de ce qu’est la théorie de l’esprit par exemple, ne permet pas forcément d’en saisir la réalité pour la personne autiste et son impact sur les relations dans la vie de tous les jours.

Et comme le dit l’adage « une image vaut mille mots », ou pour correspondre au « projet chatounets », les 1000 à 3000 mots de mes pages sont transformés en trois vignettes imagées.

L’objectif du « projet chatounets » est donc d’expliquer dans des mini bandes-dessinées de trois vignettes un des grands principes de fonctionnement de l’autisme. J’ai choisi de le faire avec humour, non pas par manque de respect pour les difficultés réelles que ce fonctionnement peut entrainer en société mais parce que celui-ci amène aussi parfois à des situations cocasses.

« Et pourquoi des chats ? » me demanderez-vous surement. Parce que j’adore les chats depuis toujours. Ils sont mes premiers amis lorsque j’étais toute petite, et ils ont toujours coloré mon existence par leur présence plus ou moins discrète à mes côtés et leurs petites attentions plus ou moins intéressées.

Je me consacre au « projet chatounets » depuis quelques mois, et j’ai fait plusieurs « planches » de trois vignettes sans jamais rien publier. Parce que j’ai tendance à tourner mentalement un projet dans ma tête pendant longtemps, vraiment longtemps et à y apporter plein de modifications/corrections, même infimes.

Une amie qui ne voyait toujours rien apparaitre concernant ce projet m’a rappelé exactement ceci : « done is better than perfect », autrement dit « mieux vaut fait que parfait ». Je ne suis toujours pas convaincue par cette acception mais je vous soumets malgré tout ma première « bande dessinée » dans laquelle je lui fais d’ailleurs un petit clin d’œil.

  1. La dyade autistique

1.1. Troubles de la communication

La compréhension littérale des expressions ou la difficulté à saisir l’implicite, notamment dans les expressions/dictons.

 




Les personnes autistes non verbales s’expriment

Carly Fleischmann est une jeune femme de 22 ans, diagnostiquée avec un autisme sévère à l’âge de deux ans.

Elle a une apraxie bucco faciale qui ne lui permet de s’exprimer verbalement, les médecins avaient prédit qu’elle ne pourrait pas dépasser le développement et le niveau intellectuel d’un très jeune enfant. En débit de ce pronostic plutôt sombre dès les premières années de sa vie, elle est aujourd’hui célèbre dans le monde entier et possède son propre talk show intitulé Speechless with Carly Fleischmann. Elle s’exprime à l’aide d’un clavier d’ordinateur où elle tape les phrases et interview de nombreuses célébrités. Sa première vidéo dans laquelle elle interview Channing Tatum est très connue et l’a révélé au public. Elle est désormais la voix des personnes autistes non verbales et une ambassadrice de l’autisme à travers le monde.

Pour regarder la première interview de Carly Fleischmann avec Channing Tatum :

[youtube https://www.youtube.com/watch?v=a34qMg0aF6w?start=6&feature=oembed&w=1200&h=675]

Carly Fleischmann est l’auteure avec son père d’un livre intitulé Carly’s voice  La voix de Carly, qui raconte son parcours. Elle vit actuellement au Canada à Toronto où elle poursuit une scolarité dans un établissement pour personnes surdouées.

Peu intéressée par la télévision durant son enfance, c’est en regardant une émission de Ellen Degeneres, une célèbre humoriste, animatrice de télévision et écrivaine, que Carly Fleischmann a trouver sa vocation. Depuis ce moment son projet était de devenir animatrice d’émission télévisée malgré le fait qu’elle fasse partie des personnes autistes non verbales.

La préparation de sa première vidéo, l’interview avec Channing Tatum lui a demandé des heures de travail afin de rendre la conversation fluide entre les deux protagonistes. Pour cela elle a pré-enregistré ses questions mais aussi différentes réponses selon aux questions que pouvait potentiellement lui poser Channing Tatum. Cette première vidéo a fait le tour du monde et a été visionnée plus de trois millions de fois, lui ouvrant les portes des plus célèbres émissions télévisées, en tant qu’invitée cette fois.

Carly Fleischmann souhaite dire aux gens :

I want people to realize that, just like them, I have many challenges. I have overcome a lot of my challenges and so can they. Just because it’s an uphill climb doesn’t mean it’s not worth the journey to the top of the hill.

Traduction libre : Je veux que les gens réalisent cela, juste comme eux, j’ai beaucoup de défis. J’ai surmonté beaucoup de mes défis, donc ils le peuvent aussi. Juste parce que la montée est difficile cela ne signifie pas que le voyage au sommet ne vaut pas le coup.

Les personnes autistes non verbales ont plein de choses à nous raconter, il suffit d’écouter.