La mesure de l’intelligence chez les personnes autistes non verbales

Cet article est le résumé d’une recherche sur l’intelligence chez les personnes autistes non verbales, publiée au mois de mars dans la revue scientifique Journal of Autism and developmental disorders dont vous trouverez les références complètes à la fin de l’article.

Le DSM-5 (APA 2013) indique qu’il faut rechercher s’il y a
une déficience intellectuelle lors du diagnostic d’autisme. Le diagnostic
d’autisme a souvent lieu lors de la période pré-scolaire durant laquelle
l’intelligence peut être particulièrement difficile à mesurer (Akshoomoff
2006).

Propos généraux sur l’intelligence chez les personnes autistes non verbales

Dans leur revue, Filipek et al. (1999) insistent sur l’importance du choix des tests utilisés surtout pour les enfants en bas âge, non verbaux ou considérés comme ayant un faible niveau de fonctionnement. La mesure de l’intelligence chez les personnes autistes non verbales représente un défi pour ces catégories et ces enfants autistes sont souvent considérés comme intestables ou comme déficients intellectuels par défaut (Eagle 2003).

Ce défi de mesurer l’intelligence chez les enfants autistes
en bas âge vient aussi du peu de tests disponibles pour cette catégorie d’âge.

Dans une précédente étude (Courchesne et al. 2015), les chercheurs ont montré que les tests standardisés conventionnels ne convenaient pas pour tester les enfants autistes verbaux d’âge scolaire.

Lors de cette étude précédente, les chercheurs ont évalué la
performance d’enfants autistes d’âge scolaire ayant une expression verbale
minimale sur une évaluation utilisant des tests de raisonnement visuels non
verbaux sur lesquels les personnes autistes se comportent généralement bien.
Aucun des participants n’a été testé avec une évaluation conventionnelle telle
que l’échelle de Wechsler, mais la grande majorité des enfants ont été en mesure
de compléter l’évaluation basée sur le raisonnement visuel.

Dans cette étude précédente, l’inclusion des tâches
visuelles était motivée par le fait que les capacités de perception étaient
historiquement liées à l’étude de l’intelligence (voir historique: Deary et al.
2004; Mackintosh 2011) et qu’il était démontré qu’elles étaient corrélées aux
capacités intellectuelles. chez les enfants et les adultes autistes et non
autistes (Barbeau et coll. 2013; Deary et coll. 2004; Hill et coll. 2011;
Meilleur et coll. 2014; Wallace et coll. 2009). De plus, il a été démontré que
les personnes autistes avaient des capacités supérieures dans diverses tâches
visuelles (Jarrold et al. 2005; Kaldy et al. 2016; O’riordan 2004; Perreault et
al. 2011; Schlooz et Hulstijn 2014; Soulières et al. 2011) et beaucoup de ces
tâches sont simples et rapides à administrer par rapport aux tests de QI
classiques.

La présente étude a pour objectif de répliquer les résultats de l’étude de 2015 en les appliquant à des jeunes enfants d’âge préscolaire et analyser comment on peut mesurer l’intelligence chez les personnes autistes non verbales pour rendre comtpe de leurs capacités réelles.

Les chercheurs émettent l’hypothèse qu’une plus faible proportion d’enfants autistes serait en mesure de compléter l’évaluation cognitive. Un autre objectif de l’étude est de comparer le profil intellectuel de ces enfants sur des outils conventionnels par rapport à des outils adaptés. les chercheurs ont émis l’hypothèse que les enfants autistes auraient de meilleures performances dans les outils adaptés et que leur profil dans les tests classiques se caractériserait par des scores plus élevés dans les domaines ne nécessitant pas de langage, tandis que les enfants au développement typique auraient un profil plus homogène à la fois dans et entre les outils.

Echantillon et présentation des tests d’intelligence
utilisés dans l’étude

L’échantillon se compose de 52 enfants autistes et 54
enfants au développement typique âgés de 31 à 77 mois.

Les enfants incluent dans le groupe des personnes autistes ont tous reçu un diagnostic au Rivière-des-Prairies Hospital, selon les instruments de diagnostic validés au niveau international (ADOS et/ou ADI).

Le niveau de langage des enfants autistes a été testé avec l’échelle de Vineland 2.

Vingt-huit enfants autistes (54%) avaient un score inférieur
au deuxième percentile, sept (13,5%) un score compris entre le deuxième et le
huitième percentile, sept (13,5%) avaient un score compris entre le 9e et le
24e percentile et sept ( 13,5%) avaient un score moyen, par exemple entre le
25ème et le 75ème percentile. Nous n’avons pas pu joindre les parents pour
compléter l’évaluation de trois participants (5,5%).

Les tests « classiques » d’intelligence qui ont
été étudiés :

  • Mullen Scales of Early Learning (MSEL) (Mullen 1995) : La MSEL est une mesure des capacités cognitives et motrices qui est largement utilisée chez les jeunes enfants puisqu’elle est normée de la naissance à 68 mois. Le test est composé de cinq sous-échelles: moteur brut (réservé aux enfants de la naissance à 33 mois), réception visuelle, moteur fin, langage réceptif et langage expressif.
  • L’échelle d’intelligence de Wheschler pour les enfants (WPPSI‑IV) : Les échelles de Wechsler figurent parmi les tests d’intelligence les plus largement utilisés, tant en clinique qu’en recherche (Neisser et al. 1996). La version préscolaire et primaire de Wechsler – quatrième édition (WPPSI-IV) est normalisée de 2 ans 6 mois à 7 ans 7 mois.

Les tests basés sur des outils plus adaptés au profil
autistique :

  • Les outils adaptés ont également été sélectionnés sur la base de notre étude précédente (Courchesne et al. 2015). Les adaptations apportées dans cette première étude afin de minimiser les exigences de production ou de compréhension de la langue et d’éviter la nécessité de demander des réponses ont également été jugées appropriées pour les enfants d’âge préscolaire (et sont considérées comme faisant partie de ce que nous appelons les tests souples; voir ci-dessous).
  • Les matrices progressives de Raven en couleur (format tableau, Raven et al. 1998) : Le RCPM est un test de QI utilisant un matériel non verbal, relativement indépendant de la culture et mesurant l’intelligence des fluides (Neisser et al., 1996). Il est composé de trois ensembles de 12 matrices de difficulté croissante.
  • La tâche de Recherche Visuelle : elle consiste à trouver une lettre cible parmi les distracteurs. Ce test a été adapté de la version informatisée de la tâche de recherche visuelle de O’Riordan et al. (2001)
  • Test des figures incorporées chez les enfants (Karp et Konstadt 1963) : consiste à trouver une figure cible cachée parmi un dessin au trait plus grand et plus significatif.

Résultats de l’étude

Cette étude a examiné la testabilité et le profil cognitif des enfants autistes d’âge préscolaire en utilisant des outils conventionnels par rapport aux outils basés sur la force. Premièrement, comme prévu, la testabilité était plus faible chez les enfants autistes que chez les enfants au développement typique, mais augmentait pour une force informée par rapport aux outils classiques.

Premièrement, comme prévu, la testabilité était plus faible chez les enfants autistes que chez les enfants typiques, mais augmentait avec les tests adaptés par rapport aux outils classiques. La testabilité augmentait avec l’âge mais n’était pas liée aux performances des tests d’intelligence chez les enfants autistes et les enfants au développement typique.

Deuxièmement les enfants autistes ont mieux réussi les tests de raisonnement visuel des outils adaptés que les tests conventionnels de QI qui incluent à la fois des subtests verbaux et non verbaux.

Malgré des performances plus faibles aux tests conventionnels,
les enfants autistes d’âge préscolaire ont eu des résultats similaires à ceux
des enfants au développement typique dans deux des trois outils adaptés
utilisés et sur la version la plus difficile de la tâche de Recherche Visuelle.

Testabilité de l’intelligence chez les personnes autistes non verbales

Les résultats de la présente étude suggèrent que la
testabilité est une question importante lors de l’évaluation de jeunes enfants
autistes, à la fois en clinique et en recherche.

Etant donné qu’aucun lien n’a été trouvé entre la
testabilité et les performances des tests, un déficit ne doit pas être
systématiquement déduit d’une incapacité ou du refus de mener à bien une tâche
donnée. Par conséquent, la capacité de se conformer aux exigences d’un test
spécifique ne semble pas indiquer les capacités intellectuelles de l’enfant et
pourrait résulter de nombreux facteurs différents, tels que des difficultés de
langage verbal pouvant être totalement indépendantes du QI de l’enfant (Mayes
et Calhoun 2003a).

Plus généralement, l’interprétation des «échecs» est particulièrement
difficile dans cette population. Il est souvent difficile de savoir si l’enfant
était incapable de répondre correctement en raison d’une réponse invalide, d’un
refus de répondre, d’une impossibilité d’assister à la tâche, d’un manque de compréhension
de ce qui était demandé, etc. (Eagle 2003).

Une indication clinique de cette réalité est le fait que de
nombreux parents ont dit à la personne qui fait passer le test que leur enfant
était généralement capable de faire des tâches similaires à la maison, ou que
leur enfant connaissait la réponse à de nombreux ites, etc. Ce type
d’observation de la part des parents, ou d’autres personnes qui connaissent
l’enfant, sont courantes dans l’évaluation des enfants autistes (Eagle 2003).

Les cliniciens ont également du mal à évaluer les jeunes enfants autistes (Akshoomoff 2006) et les chercheurs ont tendance à exclure de leurs études les enfants jugés «intestables». Par exemple, de nombreuses études ont des critères d’inclusion, tel qu’un QI supérieur à une certaine valeur, ce qui conduit à l’exclusion des participants incapables ou moins en mesure de mener à bien une évaluation intellectuelle. Cela entraine un biais dans les résultats. Il est difficile d’estimer la proportion d’enfants autistes «intestables», car le nombre de participants exclus n’est pas nécessairement rapporté dans les études.

Ces questions de testabilité soulèvent des considérations
importantes pour l’évaluation expérimentale et clinique avec cette population.

Il peut s’avérer difficile d’accéder au plein potentiel d’un
enfant autiste dans un contexte d’évaluation (Eagle 2003; Filipek et al. 1999).
Ces évaluations devraient donc inclure plusieurs séances si nécessaire et
différents types de tests permettant d’apprécier les forces et les faiblesses,
afin de brosser un portrait complet du niveau de fonctionnement et des
capacités cognitives de l’enfant.

Profil cognitif des personnes autistes non verbales

Les présents résultats suggèrent de faire preuve de prudence
lors du choix et de l’interprétation des tests à un si jeune âge.

Cette étude rejoint le constat de Munson et al. (2008), qui
ont montré que les résultats de la majorité (59%) des enfants autistes étaient
très faibles, tant dans les sous-tests verbaux que non verbaux de la MSEL.

Les résultats suggèrent également que le RPM est une force
relative chez les enfants autistes d’âge préscolaire qui ont réussi les trois
tests de QI. Leur performance à ce test était identique à celle des enfants au
développement typique, qui n’étaient appariés que par âge chronologique et qui
avaient un score moyen.

Dans le sous-groupe des enfants autistes ayant passé les
tests de QI, il existe une corrélation entre perception et intelligence, comme
rapporté dans les études précédentes (Barbeau et al. 2013; Courchesne et al.
2015; Meilleur et 2014, Soulières et al. 2011).

Les enfants autistes ont montré de bonnes performances au test Recherche Visuelle et CETF. Bien qu’ils n’aient pas surpassé les enfants au développement typique dans ces tests, ils ont obtenus des résultats similaires à ceux-ci, alors même qu’ils avaient été évalués comme ayant plus de 30 points de moins en moyenne à l’échelle de Wheschler. Cela suggère une meilleure capacité de perception visuelle chez les enfants autistes que celle évaluée sur la base du calcul de leur QI avec l’échelle de Wechsler.

De plus, les corrélations avec les tests de QI étaient systématiquement plus fortes dans le groupe des personnes autistes, suggérant ainsi que la perception joue un plus grand rôle dans les résultats des tests d’intelligence chez les personnes autistes non verbales. La nature exacte de la relation entre les capacités de perception et l’intelligence est encore inconnue, mais les résultats actuels sont conformes aux découvertes précédentes et au modèle de fonctionnement perceptuel amélioré qui suggère un rôle généralement plus important de la perception dans la cognition chez les personnes autistes (Mottron et al. 2006).


Références :

Assessing intelligence at autism diagnosis: mission impossible? Testability and cognitive profile of autistic preschoolers, Valérie Courchesne, Dominique Girard, Claudine Jacques, Isabelle Soulières, Journal of Autism and Developmental Disorders, mars 2019