Les compétences cognitives des personnes autistes : difficulté d’évaluation

Les professionnels et les familles constatent souvent qu’il est complexe d’évaluer les compétences cognitives des personnes autistes avec des tests classiques, notamment les tests d’intelligence. Certains enfants ont des compétences et des connaissances mais ils n’arrivent pas à les déployer lors de la passation des exercices formalisés.

C’est le cas aussi pour certaines personnes autistes non verbales, qui vont avoir des résultats peu élevés qui ne sont absolument pas représentatifs de leurs compétences réelles. Certains enfants autistes comprennent beaucoup plus qu’ils ne peuvent dire avec des mots ou avec des gestes, et on pense à tort qu’ils ont une faible intelligence. C’est pourquoi il est difficile d’évaluer les compétences cognitives des personnes autistes.

 Nous savons qu’ils ont ces compétences, mais nous ne pouvons obtenir d’eux les réponses

dit Soulières, professeure de psychologie à l’université de Québec à Montréal au Canada.

Certaines personnes autistes non ou peu verbales qui commencent à être médiatisées comme Tito Mukhopadhyay, Ido Kedar ou Carly Fleischman, ont surpris leur entourage en démontrant des capacités bien supérieures à celles initialement évaluées. Carly Fleischman est une personne autiste non verbale qui anime désormais une émission de talkshow où elle interview des stars et a écrit un ouvrage autobiographique racontant son expérience (Carly’s voice : Breaking through autism). En France, c’est le cas de Babouillec, personne autiste non verbale auteur de plusieurs ouvrages. Cela démontre que les compétences cognitives des personnes autistes peuvent être cachées ou non accessibles par des évaluations classiques.

Test d’intelligence et évaluation des compétences cognitives des personnes autistes

Une mauvaise lecture des résultats à ces tests peut aussi fausser notre compréhension de l’autisme.

Par exemple, des études associent souvent les participants autistes aux personnes contrôles qui ne sont pas autistes, à l’aide de quotients intellectuels (QI). Ceux-ci sont mesurés par des tests standardisés (les plus couramment administrés sont la Wais et les matrices de Raven). « Si vous vous trompez de QI, votre groupe ne sera pas précis », dit Soulières et les compétences cognitives des personnes autistes sont mal évaluées.

Parce que les chercheurs ont des
difficultés à obtenir des données fiables pour les personnes autistes les plus
impactées, Ils manquent des informations cruciales sur leur fonctionnement.

Durant les cinq dernières années, certains chercheurs ont créé des outils permettant d’évaluer le potentiel cognitif des personnes autistes minimalement verbales ou qui ont besoin d’un niveau d’accompagnement important. Certains adaptent des tests existants pour les rendre plus attrayant et plus facile à comprendre. D’autres explorent de nouvelles techniques comme le  eye tracking  ou l’imagerie cérébrale. La plupart de ces tests ne seront jamais disponible de manière généralisée soit du fait de leur coût, soit parce qu’il est difficilement possible de développer davantage ces technologies. Néanmoins, cela peut apporter des indices supplémentaires sur les compétences cognitives des personnes autistes minimalement verbales.

De même, beaucoup de personnes
autistes disent qu’elles contrôlent mal leurs mouvements volontaires. La
configuration d’un test, l’anxiété ou les problèmes d’attention peuvent
également interférer avec les résultats.

La plupart des tests de QI sont administrés verbalement en face à  face. Cela peut représenter une difficulté particulière pour les personnes autistes du fait de leurs difficultés de communication et d’interaction sociale. Les sujets d’intérêt spécifique peuvent aussi diminuer les performances d’une personne si celle-ci parle de son sujet passionnément mais  sans répondre à la question visée.

Même pour les tests où la parole n’est pas requise, ceux-ci nécessitent généralement que la personne soit capable de faire certains gestes complexes, comme pointer. Cela peut être compliqué pour certaines personnes autistes.

Une autre difficulté que les personnes autistes rencontrent lors des tests d’intelligence est la durée de passation. Ces tests durent au moins 45 minutes, voir beaucoup plus longtemps et demandent une attention soutenue. Il est bien connu que les personnes autistes peuvent avoir à la fois des difficultés d’organisation dues aux fonctions exécutives, des difficultés de concentration voir un trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité.

Actuellement il n’y a pas de consensus entre les experts pour définir un type de test qui conviendrait mieux pour évaluer les compétences cognitives des personnes autistes, surtout celles minimalement verbales. La plupart du temps c’est la Wais qui est utilisée, l’échelle de Mullen ou les matrices de Raven.

Des tests alternatifs

Une équipe de chercheurs a essayé d’adapter l’échelle de Mullen, un test standardisé qui évalue les capacités linguistiques, cognitives et motrices des enfants.

La version modifiée du test a été proposée à 47 filles avec un syndrome de Rett, âgées de 2 à 11 ans.

Le syndrome de Rett est une condition rare qui se caractérise par un retard de langage et souvent de l’autisme. Le syndrome touche de manière bien plus importante les filles. Elles sont minimalement verbales et ont de faibles capacités motrices fines.

Bien que le test ne soit pas chronométré, les cliniciens n’accordent généralement pas plus de 20 secondes pour chacun des 159 items du test. Dans la version adaptée du test, les cliniciens laissent environ une minute aux filles pour répondre à chaque question.

Ils ont également ajusté
certaines des questions: lors du test classique, un examinateur évalue la compréhension
de l’enfant par rapport aux gestes et aux consignes en lui tendant la main et
en lui demandant de lui passer un jouet à proximité.Dans la version adaptée,
l’examinateur tend les bras et dit: «Donne-moi un câlin», ce qui est
physiquement plus facile pour un enfant atteint du syndrome de Rett.

Pour certaines filles de l’échantillon, Nelson et ses collègues ont mis en place un système de eye tracking pour certains des items du test.

Définition de eye tracking ou en français oculométrie : c’est un ensemble de techniques permettant d’enregistrer les mouvements oculaires. Les oculomètres les plus courants analysent des images de l’œil humain enregistrées par une caméra, souvent en lumière infrarouge, pour calculer la direction du regard du sujet. Par le biais de l’eye-tracking, on peut analyser l’activité oculaire d’un individu, mettre en évidence où se porte son regard.
L’oculométrie est utilisée comme technique de mesure pour la recherche en psychologie, en psycholinguistique, en linguistique clinique, en ergonomie ou encore dans l’analyse du sommeil (Wikipédia).

Par exemple, pour une question, un examinateur donne généralement à un enfant un ensemble de crayons, nomme une couleur et demande à l’enfant de désigner le crayon correspondant. L’équipe a remplacé les crayons par des morceaux de papier de couleurs et a surveillé le regard des filles lorsque l’examinateur a nommé les couleurs.

Comme attendu, les filles ont
obtenus des performances faibles aux tâches de motricités fines et le langage
expressif. Cependant, grâce aux adaptations mises en place, certaines filles
ont obtenu des performances plus élevées que la moyenne des enfants au
développement typique dans leur compréhension des mots, des images et des
symboles. Ces performances sont bien supérieures à celles qu’avaient imaginé
les chercheurs.

Une équipe de l’université de Boston a aussi utilisé le système de eye tracking pour évaluer la compréhension des mots chez les personnes autistes avec des compétences verbales minimales. En 2016, les chercheurs ont fait une étude portant sur 19 personnes autistes âgées de 5 à 21 ans. Les chercheurs leur ont montré deux images côte à côte sur un écran, 2.5 secondes après chaque paire d’image apparait sur l’écran et les participants entendent une voix enregistrée leur donnant la consigne : « regarde » suivi d’un mot correspondant à l’une des images. Le dispositif de eye tracking mesure le temps que le participant passe à regarder les images. Les chercheurs interprètent que les personnes regardent plus longtemps l’image qu’elles associent au mot donner en consigne et cela signifie donc que si une personne regarde longtemps l’image correspondant au mot elle comprend à quoi correspond ce mot.

Ce test permet de limiter au maximum toute interaction entre le chercheur et la personne évaluée, ce qui peut réduire le stresse des participants. Afin de maintenir l’intérêt et la motivation des participants, les chercheurs ont inséré entre chaque question, un petit extrait de quelques secondes d’un dessin animé ou des images colorées.

Cette étude a révélé que les
mouvements des yeux des participants ne sont pas aléatoires et que certaines
personnes comprennent à quoi correspond le mot entendu.

Un autre dispositif d’expérimentation dans lequel les participants voient une question à choix multiples sur l’écran avec une série de réponses possibles a été mise en place. Les réponses étaient évaluées par un système de eye tracking qui mesure le temps où les yeux se fixent sur une réponse. Cette équipe de chercheurs a utilisé cette technique pour tester un groupe d’hommes autistes minimalement verbaux et présumés illettrés. Ils ont découvert qu’en réalité, la plupart de ces jeunes hommes autistes savaient lire.

Certaines personnes autistes ne peuvent compléter même les versions adaptées des tests d’intelligence. Pour eux, les scientifiques étudient un certain nombre de moyens entièrement passifs de détecter leur compréhension.Des chercheurs de l’Université Rutgers-Newark, par exemple, explorent l’utilisation de l’électroencéphalographie (EEG). Dans une étude réalisée en 2016, ils ont enregistré une activité électrique dans le cerveau de 10 enfants autistes de 3 à 7 ans présentant une expression verbale minimale, et de 10 témoins appariés, tous équipés d’électrodes.Les enfants ont regardé une série d’images. Une demi-seconde après chaque image, ils ont entendu un mot qui lui correspondait parfois.

Les chercheurs ont essayé de déterminer s’il existait des schémas dans l’activité cérébrale qui permettraient de définir si les personnes associent les images aux mots correspondants. Dans le cortex auditif, une région du cerveau qui traite les mots, les deux groupes ont présenté un pic d’activité, appelé P1 auditif, environ 100 millisecondes après avoir entendu un mot. Et dans le cortex visuel, qui traite les images, les deux groupes ont à nouveau montré une brève augmentation de l’activité cérébrale, appelée P1 visuelle, environ 150 millisecondes après l’apparition de chaque image. Les deux pointes sont survenues un peu plus tard chez les enfants autistes, ce qui indique que le traitement sensoriel est en place, bien que légèrement différé.

Benasich et ses collègues ont
toutefois constaté que des différences plus importantes apparaissaient plus
tard dans le traitement sensoriel. Dans le cortex visuel, le groupe témoin a
montré une augmentation plus durable de l’activité cérébrale, appelée onde
lente positive, environ 350 millisecondes après l’apparition d’une image. On
pense que cette onde reflète la tentative du cerveau d’appeler des souvenirs
liés à une image et indique un traitement visuel plus complexe. Les enfants
autistes n’ont pas montré cette vague, ce qui suggère que leur cerveau peut ne
pas associer les images qu’ils voient à des informations connexes.

Kedar dit que son incapacité à parler plus de quelques mots peut être du à l’apraxie, une déconnexion entre les mécanismes de  la parole dans le cerveau et les capacités motrices nécessaires pour les exécuter. Il avait déjà 7 ans lorsque sa mère s’est aperçue de ses capacités de compréhension. Une technique d’évaluation cognitive basée sur le eye tracking ou l’EEG aurait pu identifier ces capacités cachées avant. Mais pour ces tests puissent être validés, il faut d’abord vérifier les résultats sur des centaines, voir des milliers de personnes. Une généralisation de ces technique sera complexe car elles sont couteuses et demandent plus de connaissances techniques de la part des professionnels que les tests existants.

Compte tenu des préoccupations soulevées par les études d’eye tracking et d’EEG sur l’inexactitude des tests d’intelligence classiques, certains chercheurs estiment qu’il est impératif de développer des techniques permettant de tester les capacités cognitives des personnes autistes.

Références :  
Revealing autism’s hidden strengths, Spectrum News, Nicholette Zeliadt, December 2018