Une étude comparative de l’expérience de la maternité chez les femmes autistes et non autistes

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Cet article est le résumé d’une étude portant sur les mères autistes, dont vous trouverez les références complètes en bas de page.

L’autisme est un trouble neurodéveloppementale, qui se caractérise par des difficultés de communication sociale accompagnées d’une forte préférence pour la répétition, des difficultés d’adaptation aux changements inattendus et un profil de sensibilités sensorielles atypiques.

La prévalence de l’autisme est estimée à 1–2% de la population. Il est plus souvent diagnostiqué chez les hommes que chez les femmes, avec un sex-ratio de 3:1 (homme:femme).

Propos introductif et état de la recherche sur les mères autistes

Peu d’attention a été accordée à la parentalité chez les adultes autistes, bien que l’autisme soit une condition qui dure toute la vie. Il n’existe actuellement aucune estimation du nombre d’adultes autistes qui sont parents. Entre 17 et 23 % des parents d’enfants autistes ont le « phénotype élargit de l’autisme » et l’autisme est en partie génétique.

Par conséquent, il est possible qu’un certain nombre de mères d’enfants autistes aient un autisme non diagnostiqué. Comme les femmes sont en moyenne diagnostiquées plus tard dans la vie que les hommes, certaines peuvent ne pas recevoir leur diagnostic avant d’être elles-mêmes déjà parents.

Bien qu’il existe de la littérature sur l’impact de la présence d’un enfant autiste sur la dynamique familiale et les parents, l’expérience des mères autistes elles-mêmes est relativement inexplorée.

A ce jour, seuls le vécu de la grossesse, de l’accouchement et du post-partum chez les femmes autistes ont été étudiés. À l’aide de méthodes qualitatives, ces études ont mis en évidence des thèmes importants pour les mères autistes : expériences sensorielles accrues pendant la période périnatale, y compris l’allaitement ; l’importance d’avoir des consignes claires de la part des professionnels de santé et de la famille ; le stress qui découle de la pression d’être une mère parfaite ; et la stigmatisation des mères autistes comme « mauvais parents » par les professionnels de santé.

Cependant, des recherches supplémentaires sur la maternité des femmes autistes, au-delà de la période périnatale, sont nécessaires.

Les expériences des mères ayant une déficience intellectuelle et des troubles psychiatriques, qui sont souvent des comorbidités liées à l’autisme, peuvent éclairer notre compréhension des expériences possibles des mères autistes en présentant certains aspects communs.

Pour les femmes ayant une déficience intellectuelle et des troubles psychiatriques, la maternité est souvent une expérience souhaitable, mais la stigmatisation associée à leur condition a un impact majeur sur la façon dont elles se perçoivent en tant que mères.

La stigmatisation constitue également un obstacle majeur à l’accès aux services ou à la recherche du soutien des amis et de la famille. Pour les mères qui craignent d’être jugées sur leurs capacités parentales et qui craignent de perdre leur enfant au profit des services de protection de l’enfance, la peur de la stigmatisation peut les empêcher d’accéder aux services dont elles ont besoin.

Cela peut faire partie d’un sentiment plus large d’être stigmatisés que les adultes autistes rapportent. De telles craintes pourraient être fondées car les parents ayant une déficience intellectuelle sont souvent plus surveillés par les services sociaux et courent un risque plus élevé de voir leurs droits parentaux résiliés.

Les personnes autistes présentent un risque accru de problèmes de santé mentale par rapport aux personnes neurotypiques. On ne sait pas comment cela pourrait affecter les mères autistes.

Les sentiments d’isolement, la peur du jugement et la stigmatisation de l’autisme peuvent avoir un effet négatif sur la santé mentale, en particulier dans les premiers stades de la maternité où les femmes sont encore en train de s’adapter à leur nouvelle identité.

Des antécédents de dépression sont l’un des facteurs de risque les plus élevés de dépression post-partum. Compte tenu de la comorbidité de la dépression dans l’autisme, nous nous attendrions à ce que les mères autistes soient plus à risque de dépression post-partum que les mères neurotypiques, ce qui pourrait les isoler davantage. Cela peut signifier que les femmes autistes ont besoin d’un soutien supplémentaire sur mesure pour répondre à leurs besoins.

La connaissance des taux de dépression chez les mères autistes pourrait aider les services de soutien à anticiper leurs besoins probables, conduisant à une identification plus précoce des symptômes de dépression.

Les difficultés à traiter les expériences sensorielles, par exemple les problèmes d’allaitement, et à communiquer avec les professionnels, tels que les cliniciens, les sages-femmes et les infirmières peuvent être des éléments uniques de l’expérience de la maternité pour les femmes autistes. L’autisme est associé à une hypersensibilité sensorielle, conduisant souvent à une surcharge sensorielle.

Gardner et al. ont rapporté que pour certaines femmes autistes, cela rendait la sensation physique de l’allaitement désagréable, mais que les mères autistes étaient néanmoins capables d’allaiter avec succès car elles estimaient que c’était dans le meilleur intérêt de leur enfant

La capacité à surmonter les difficultés afin d’agir dans le meilleur intérêt de l’enfant peut jouer un rôle essentiel dans l’expérience de la maternité des femmes autistes.

L’objectif principal de cette étude était de fournir une enquête préliminaire sur la façon dont les femmes autistes vivent la période périnatale et la maternité précoce, par rapport aux mères non autistes.

L’équipe de recherche a développé une enquête en ligne accessible aux mères autistes et non autistes. Elle voulait s’assurer qu’un large éventail de problèmes était couvert et que ces problèmes reflétaient vraiment les besoins de la communauté autiste.

Au moment où cette enquête a été élaborée, il n’y avait pas de travaux publiés et évalués par des pairs sur les mères autistes. Pour cette raison, les chercheurs ont choisi de couvrir un large éventail de sujets qui pourraient éclairer les priorités futures et fournir des conseils aux décideurs politiques et, plus important encore, fournir aux mères autistes un soutien adapté lorsqu’elles défendent leurs besoins individuels.

La méthode de la recherche

L’équipe de recherche a été approchée par l’organisation Autism Women Matter pour mener une étude sur les expériences de la maternité chez les femmes autistes. Cette étude est le fruit d’une collaboration entre des mères autistes et des chercheurs universitaires. Six mères autistes au Royaume-Uni ont été recrutées pour former un comité consultatif.

L’enquête a posé une série de questions sur les expériences de la maternité. Celles-ci comprenaient la grossesse, l’accouchement et la période post-partum, l’auto-perception des forces et faiblesses parentales, la communication avec les professionnels par rapport à son enfant et les expériences sociales de la maternité, y compris la divulgation de son diagnostic d’autisme dans les contextes parentaux.

L’échantillon comprenait des mères autistes et non autistes qui étaient des parents, qu’elles soient ou non le parent biologique de l’enfant. Le recrutement était ciblé sur les mères qui avaient au moins un enfant autiste, de tout âge.

410 mères autistes et 258 mères sans diagnostic d’autisme (appelées mères non autistes) ont répondu à l’enquête. Après avoir apparié les groupes pour avoir au moins un enfant autiste diagnostiqué et/ou suspecté, cela a réduit l’échantillon de mères non autistes à 132 et l’échantillon de mères autistes à 355. Cinq pour cent des mères non autistes et 2% des mères autistes n’étaient pas la mère biologique de leur enfant.

Les résultats de l'enquête sur les mères autistes

Ci dessous une inforgraphie résumant les principales données statistiques de l’enquête :

Les mères autistes : forces et difficultés

Environ les deux tiers de l’échantillon de mères autistes ont déclaré avoir reçu un diagnostic d’autisme, tandis que le tiers restant s’est auto-identifié comme autiste mais n’a pas eu de diagnostic clinique. Les chercheurs ont inclus ces mères dans le groupe autiste car, bien que les mères diagnostiquées aient obtenu en moyenne un score plus élevé sur l’AQ-10 les mères autistes diagnostiquées et auto-identifiées ont obtenu des scores significativement plus élevés que les mères non autistes.

Plus de 60 % des mères ont reçu leur diagnostic d’autisme après le diagnostic de leur enfant.

La maternité chez les femmes autistes est un domaine négligé dans la recherche sur l’autisme. Nos résultats démontrent qu’il y a des aspects de la parentalité que les mères autistes trouvent plus difficiles que les mères non autistes.

Cela concernait surtout :

De plus, il existe des défis uniques au fait d’être un parent autiste, comme décider quand ne pas divulguer son autisme.

Les chercheurs ont également identifié des aspects positifs de la maternité pour les femmes autistes et pour une écrasante majorité de mères autistes, la parentalité était dans l’ensemble une expérience enrichissante.

Les mères autistes ont signalé plus de difficultés à interagir avec des professionnels, tels que les professionnels de santé ou les travailleurs sociaux, tout au long de leur expérience de parentalité. Plus de mères non autistes que de mères autistes pensaient qu’on leur avait expliqué le processus de la naissance d’une manière qu’elles pouvaient comprendre.

Les résultats de la recherche mettent en évidence comment les mères autistes peuvent être plus susceptibles d’avoir des difficultés à communiquer et à interagir avec les professionnels pendant leur grossesse.

Les mères autistes ont également déclaré qu’elles étaient réticentes à révéler qu’elles étaient autistes. En effet, plus de 80 % des mères craignaient que la divulgation de leur autisme n’affecte l’attitude d’un professionnel à leur égard et près de 40 % des mères avec un diagnostic ont déclaré qu’elles le révélaient rarement ou jamais.

Pour les mères qui soupçonnaient qu’elles étaient autistes mais n’avaient pas de diagnostic, ce chiffre est passé à 75 %. Des recherches antérieures ont montré comment la stigmatisation perçue du diagnostic d’un handicap ou d’un problème de santé mentale peut affecter la perception de la maternité.

Les mères autistes de notre échantillon ont déclaré avoir le sentiment que la maternité était une expérience plus isolante que les mères non autistes et avaient l’impression d’être jugées sur leurs compétences parentales, un thème également rapporté par Rogers et ses collègues.

Les mères autistes sont plus susceptibles de sentir qu’elles ne s’en sortent pas en tant que parents et de se sentir incapables de se tourner vers les autres pour obtenir du soutien.

De plus, les mères autistes peuvent craindre cette perception négative chez les professionnels, tels que les cliniciens ou les travailleurs sociaux, conduisant à une peur ou à une réticence à divulguer leur autisme.

La peur du jugement des autres peut être liée à des difficultés d'interaction. Plus de 40 % des mères autistes ont trouvé que parler à des professionnels de santé ou travailleurs sociaux était si anxiogène qu'elles étaient soit incapables de penser clairement, soit éprouvaient des difficultés de communication.

De plus, la stigmatisation perçue et la peur d’être considérée comme un « mauvais parent » pourraient dissuader les mères autistes de demander un soutien adaptés dont elles ont tant besoin.

Si les mères autistes sont moins susceptibles d’approcher d’autres parents ou professionnels pour obtenir des conseils et un soutien émotionnel, cela pourrait créer un cercle vicieux dans lequel les difficultés parentales peuvent devenir écrasantes, conduisant, par exemple, à un sentiment d’isolement.

Les résultats mettent en évidence le fardeau émotionnel que la maternité peut avoir sur les femmes autistes, qui pourrait être encore exacerbé par le manque de sensibilisation et d’acceptation, et par des services de soutien adaptés.

La recherche sur les expériences de la grossesse et de la petite enfance pour les mères autistes a mis en évidence les défis qui peuvent être associés au traitement sensoriel.

Cependant, malgré ces problèmes sensoriels, la plupart des mères de notre échantillon ont réussi à allaiter leur enfant, avec plus de 80% des mères autistes qui ont allaité leurs deux premiers enfants. Il se peut que les mères autistes aient pu ignorer les sensations tactiles désagréables associées à l'allaitement afin de faire ce qu'elles pensaient être le mieux pour leur enfant

La recherche s’est également intéressée aux expériences parentales des mères autistes tout au long de leur vie, ce qui va au-delà des recherches antérieures axées principalement sur les premiers stades de la maternité.

Conformément aux résultats antérieurs, des difficultés au niveau des fonctions exécutives ont été repérées. Celles-ci incluent des performances plus faibles sur les mesures de planification et de flexibilité mentale que les adultes neurotypiques.

Les mères autistes ont signalé une plus grande difficulté avec le multitâche, l’organisation et les responsabilités domestiques. Les difficultés de communication sociale et de planification, d’organisation, de multitâche et un fort besoin de routine peuvent être exacerbées lorsque les personnes autistes s’occupent de leur famille.

62 % des mères autistes ont estimé qu’elles avaient besoin d’un soutien supplémentaire en raison de leur autisme.

En termes de résultats positifs, 96% des mères autistes ont pu donner la priorité aux besoins de leur enfant avant les leurs et chercher des moyens de renforcer la confiance en soi de leur enfant.

De tels résultats mettent en évidence comment, malgré les défis liés à la gestion de la vie domestique quotidienne, les mères autistes peuvent les surmonter afin de prendre soin de leur enfant.

Cela a été confirmé par 86% des mères autistes qui ont déclaré qu'elles trouvaient la parentalité gratifiante. Semblable aux résultats sur l'allaitement, les mères autistes ont pu surmonter les défis propres à leur autisme, tels que les difficultés des fonctions exécutives et les problèmes sensoriels, pour agir dans le meilleur intérêt de leur enfant.

Les mères autistes ont légèrement plus de difficultés à permettre à leur enfant des opportunités de socialisation (ce qui pourrait être dû au fait qu’elles doivent se socialiser avec d’autres mères et/ou parents). Malgré cela, 73 % des mères autistes ont tout de même déclaré qu’elles en étaient capables.

En plus de l’autisme, plus de 70 % des mères, avec ou sans diagnostic formel d’autisme, ont déclaré souffrir d’un trouble psychiatrique supplémentaire, contre seulement 41 % de l’échantillon non autiste.

Les mères autistes ont également déclaré être plus susceptibles de souffrir de dépression prénatale et postnatale, près de 60 % déclarant avoir souffert de dépression post-partum.

Cependant, les mères autistes peuvent être plus réticentes à se confier aux services sociaux et aux professionnels de santé. En effet, elles sont plus susceptibles de voir leurs droits parentaux résiliés entraînant la perte de leur enfant et craignent que leurs capacités parentales soient globalement constamment critiquées et jugées. Elles ne vont donc pas bénéficier des soutiens dont elles auraient besoin.

Les limitations de la recherche

À notre connaissance, il s’agit de la première étude portant sur l’expérience de la maternité chez les femmes autistes au-delà de la période périnatale. Notre enquête n’a pas toujours exploré les problèmes spécifiques au contexte. Par conséquent, les données rapportées ici doivent être considérées comme exploratoires.

L’échantillon des personnes non autiste peut ne pas être représentatif de la population générale des mères. L’échantillon non autiste n’incluait que des mères ayant au moins un enfant autiste et comprenait une proportion plus élevée que d’habitude de femmes ayant subi une dépression post-partum.

De plus, les mères de la recherche provenaient de pays à prédominance occidentale, ce qui suggère que les thèmes rapportés ici peuvent ne pas s’appliquer aux femmes de pays non occidentaux.

Enfin, 6 % des mères qui ont déclaré s’identifier comme autistes n’ont pas reçu de diagnostic d’autisme d’un clinicien. Cela reflète que l’échantillon de femmes peut ne pas être représentatif à la fois de la population générale et de la population autiste des mères et peut donc réduire la généralisation des résultats.

De plus, étant donné la nature de l’étude, seules les mères alphabétisées, capables de comprendre les questions et ayant accès à un ordinateur ont pu répondre à l’enquête, soulignant encore une fois que les résultats de cette enquête peuvent ne pas être représentatifs de toutes les mères autistes.

Enfin, la moyenne d’âge des enfants et des mères lors de l’étude était assez élevée, les enfants étant des adolescents et des mères d’environ 40 ans au moment de la réalisation de l’enquête. Les réponses peuvent donc être influencées par le biais de souvenir.

Pohl AL, Crockford SK, Blakemore M, Allison C, Baron-Cohen S. A comparative study of autistic and non-autistic women’s experience of motherhood. Mol Autism. 2020 Jan 6;11(1):3. doi: 10.1186/s13229-019-0304-2. PMID: 31911826; PMCID: PMC6945630.

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