Le risque de suicide chez les personnes autistes

Le risque de suicide chez les personnes autistes est plus important que dans la population générale.

Les chiffres concernant le risque de suicide chez les personnes autistes varient dans une proportion très importante selon les études. Cependant, toutes semblent pointer le fait que le risque de suicide est plus élevé chez les personnes autistes. Une étude suédoise de 2015 intitulée National Patient Registry montre que le risque de suicide chez les personnes autistes est 10 fois plus élevé que dans la population générale. Les femmes autistes sont particulièrement touchées par ce risque.
Une étude intitulée Suicidal ideation and suicide plans or attempts in adults with Asperger’s syndrome attending a specialist diagnostic clinic: a clinical cohort study parue en 2014 montre que deux personnes autistes sur trois ont déclaré avoir eu l’envie de se suicider dans leur vie.

 

Déceler les signes de suicide chez les personnes autistes

Le problème est que même quand les signes sont apparents, les cliniciens peuvent les rejeter. Ils restent souvent fixés sur des préjugés concernant le rapport que les personnes autistes ont avec leurs émotions et pensent à tort qu’elles n’ont pas de sentiments complexes ou qu’elles ne sont pas connectées à leurs émotions. Elles ont simplement souvent une manière différente de les exprimer ou n’arrivent pas à les exprimer.
Les cliniciens se trompent aussi sur l’interprétation de l’automutilation qui est un signe d’alerte de risque de suicide reconnu dans la population générale. Pour les personnes autistes, cela est considéré comme un comportement lié à l’autisme.
D’autres signes avant-coureurs peuvent être manqués, car ce sont des éléments de fonctionnement qui diffèrent déjà chez les personnes autistes, comme les troubles du sommeil, la perte d’appétit, ou l’isolement social. Cela rend donc les signes de suicide plus difficiles à interpréter chez les personnes autistes.

 

Les facteurs aggravants les risques de suicide chez les personnes autistes

Les adolescents qui ont des troubles de la communication sociale ont deux fois plus de chance que leurs pairs de se faire du mal avec des intentions suicidaires.
Le travail récent de Culpin I. et al. (J. Am. Acad. Child Adolesc. Psychiatry 57, 313-320, 2018) est l’un des premiers à étudier les relations entre les traits autistiques et les comportements suicidaires chez les personnes autistes.
Les résultats suggèrent également que les problèmes de communication sociale accélèrent la dépression qui mène elle-même à des pensées ou des comportements suicidaires.

Il est bien connu que la dépression est associée au suicide. La surprise pour moi était que cela n’explique qu’une partie de l’association, alors il y a certainement d’autres médiateurs potentiels en dehors

 

dit Dheeraj Rai, chercheur principal et maitre de conférence confirmé en psychiatrie à l’université de Bristol, en Angleterre.
Par exemple le harcèlement et un faible contrôle des émotions peuvent aussi contribuer à un risque élevé de comportements suicidaires chez les adolescents avec des difficultés sociales.
Cette étude n’a pas trouvé de lien direct entre les comportements suicidaires et l’autisme. L’échantillon incluait seulement 42 adolescents autistes. C’est trop peu pour en extraire des conclusions significatives.
Néanmoins, cela montre que le suicide et l’automutilation sont communs chez les personnes autistes. Elles ont en effet moins de réseaux sociaux et luttent pour se connecter aux autres. Cela exacerbe le risque de comportements suicidaires chez les personnes autistes.
Le message fort qui est passé par cette étude est la nécessité de détecter les signes de dépression et de risque de comportements suicidaires chez les personnes autistes. Il semblerait que ces difficultés soient plus fréquentes chez les adolescents autistes.

 

Des résultats inquiétants

 

Rai et ses collègues ont analysé les questionnaires remplis par les parents pour 5031 enfants autistes dans le cadre de l’étude Avon Longitudinal Study of Parents and Children. L’étude a suivi des milliers de femmes et leurs enfants en Angleterre pour enquêter sur les influences génétiques et environnementales sur le développement.
Les parents ont aussi complété un questionnaire permettant d’évaluer les traits autistiques (communication sociale, compétences sociales et comportements répétitifs et restreints) à différents âges des enfants.
Les chercheurs ont considéré que les 10 % d’enfants qui avaient les scores les plus élevés aux trois caractéristiques étaient considérés comme à “haut risque” pour un diagnostic d’autisme et les autres 90 % des enfants comme étant à « faible risque » pour un diagnostic d’autisme.
Quand les enfants ont eu 12 ans, ils ont complété une enquête sur la dépression. À l’âge de 16 ans, ils ont répondu à des questions concernant le suicide, par exemple de savoir s’ils se sont déjà blessés dans le but de se tuer.
L’analyse de cette enquête montre qu’il y a une part égale des deux groupes (ceux classés à « haut risque » pour un diagnostic d’autisme et ceux classés à « faible risque »), environ 11 %, qui font de l’automutilation sans intention de se suicider. Par contre, 12.5 % du groupe classé à « haut risque » ont déclaré s’être blessés avec l’intention de se suicider, contre seulement 6 % du groupe à « faible risque ».

Ce sont des résultats tout à fait inquiétants, vraiment (…) il n’y a pas d’étape intermédiaire. C’est plus une tentative active de mourir

 

dit Emily Taylor, conférencière en psychologie Clinique à l’université d’Edinburgh en Écosse, qui n’était pas impliquée dans la recherche.
La recherché n’a trouvé aucun lien entre les autres traits autistiques et les pensées suicidaires.

 


Sources :
Social problems common in autism raise risk of suicidal behavior, Hannah Furfaro, Spectrum News, juillet 2018




Le harcèlement chez les personnes autistes : le cas des étudiants universitaires

Un grand merci à Céline Pagan qui a accepté de mettre « Squeletto » au service de l’illustration de cet article qui aborde le sujet du harcèlement chez les personnes autistes. Céline Pagan est une personne autiste, artiste, à l’univers bien marqué qui lui a valu la mention « pour le caractère et la personnalité de ses dessins » à l’école Emile-Cohl où elle a étudié. Dessinatrice, peintre et professeur de dessin, elle explore au travers de ses œuvres des thématiques comme le syndrome d’Asperger au féminin ou les animaux. Vous pouvez retrouver quelques-unes de ses créations sur son site internet

Cet article est un résumé de l’étude suivante « Brief Report: Bullying and Anxiety in High-Functioning Adolescents with ASD » Gerrit van Schalkwyk, Isaac C. Smith, Wendy K. Silverman, Fred R. Volkmar publiée en mai 2018 dans le Journal of Autism and Developmental Disorders.

Des recherches récentes soulignent une forte prévalence du harcèlement chez les personnes autistes.

 

 

État des lieux sur le harcèlement chez les personnes autistes

Une étude menée par Sterzing et al. 2012 a analysé le taux de harcèlement chez les personnes autistes dans un échantillon de 900 parents de jeunes autistes âgés de 13 à 16 ans. Un taux de 46.3 % de jeunes victimes de harcèlement a été trouvé, il est significativement supérieur à celui trouvé dans la population générale des adolescents qui s’élève à 10.6 % (Nansel et al. 2001). Une étude de Cappadocia et al. 2012 qui porte sur un échantillon de 192 parents de jeunes autistes âgés de 5 à 21 ans montre que 54 % des situations de harcèlement durent plus d’un an. Les jeunes avec des traits autistiques moyens à élevés ont plus de chance de se faire harceler que les jeunes qui ont des traits autistiques plus faibles et/ou moins visibles (Zablotsky et al. 2014).

Dans une étude de Weiss et al. Publiée en 2015 qui porte sur 101 mères d’adolescents autistes âgés de 12 à 21 ans, 36 % déclarent que leur enfant se fait harceler deux fois par semaine ou plus. Cette étude montre aussi qu’il y a une corrélation entre le harcèlement et la sévérité des symptômes de l’anxiété. Les jeunes qui ont subi du harcèlement ont plus de chance de développer un trouble anxieux à l’âge adulte (Sourander et al. 2007).

Si les données montrent que les enfants autistes sont plus susceptibles d’être victime de harcèlement que les enfants de la population générale, il n’existe à ce jour aucune donnée concernant les jeunes adultes autistes qui entrent à l’université.

Pourtant c’est une période marquée par des changements importants, comme l’apparition de cours magistraux en amphithéâtre qui réunissent un nombre plus conséquent de personnes, une augmentation des demandes sociales ou un changement de domicile avec parfois une première expérience de vie quotidienne seul en dehors de la famille.

Au vu de ces changements, beaucoup d’étudiants autistes ont besoin d’un soutien psychologique et d’une attention clinique soutenue (Adreon and Durocher 2007; Brown et al. 2012; van Schalkwyk et al. 2016; Wolf et al.2009). Dans ce cadre et afin de proposer un accompagnement psychologique mieux adapté il est important de savoir si les étudiants subissent du harcèlement, car cela peut réduire leur chance de réussite à l’université.

Les premiers travaux ont surtout exploré la perspective des parents (Weiss et al. 2015; Zablotsky et al. 2014), mais il serait intéressant à l’avenir de recueillir aussi le point de vue des enfants et adolescents eux-mêmes et de voir si celui-ci diffère des éléments rapportés par les parents.

L’objectif de cette étude est d’évaluer le taux de harcèlement chez les personnes autistes et en particulier les étudiants, le niveau d’anxiété et les caractéristiques de l’autisme sur un échantillon d’étudiants universitaires autistes et d’examiner les liens entre ces trois éléments. Dans cette étude les parents et les individus autistes eux-mêmes seront interrogés afin de s’éloigner des protocoles de recherche qui jusque-là interrogeaient uniquement les parents.

 

Méthode de l’enquête portant sur le harcèlement chez les personnes autistes

Une conférence a été donnée au Yale Child Study Center en avril 2015 sur la thématique de la préparation du passage à l’université pour les étudiants autistes. Un courrier a été envoyé par la suite aux familles concernées et un échantillon de 35 familles a ainsi pu être déterminé. Tous les étudiants concernés ont eu un diagnostic d’autisme selon les DSM-4 ou le DSM-5.

Le protocole de recherche a été établi comme suit :

  •  Un parent de chaque participant a fourni des informations démographiques sur l’étudiant concerné et a complété la version parentale du Multidimensional Anxiety Scale for Children 2 (MASC/P-2, échelle qui mesure l’anxiété) et du Social Responsiveness Scale  (SRS-2, échelle qui mesure les difficultés sociales liées à l’autisme). Ils ont également répondu à des questions pour savoir si leur enfant était concerné par le harcèlement.
  •  Les étudiants ont complété la version adolescente du MASC/C-2 et leur expérience en matière de harcèlement a été évaluée en utilisant un outil appelé My Life in School questionnaire (MLS; Sharp et al. 1994)

Les données ont été analysées en utilisant un outil statistique appelé SPSS Statistics Version 22 (IBM) qui calcule les déviations standards pour les échelles et les sous-échelles. Les corrélations sont calculées entre les données rapportées par les parents et les étudiants concernant le harcèlement et l’anxiété.

 

Dessin de Céline Pagan

Résultats de l’enquête sur le harcèlement chez les étudiants autistes

Concernant le harcèlement, 31 % des parents rapportent que leur enfant en a été victime dans le mois passé contre 51 % des étudiants eux-mêmes. Le score moyen des symptômes de l’anxiété évalué par le MASC-2 était de 54.5 pour les parents et de 56.4 pour les étudiants. Le score moyen obtenu à l’échelle de mesure des difficultés sociales est de 87.8 et aucune différence de genre n’a été identifiée concernant ce score. L’échantillon comprend 23 hommes et 11 femmes et une personne ayant une autre identification de genre.

Cette étude montre que le harcèlement reste un problème majeur pour les adolescents (51 %) lorsqu’on les interroge.

Une étude de Eslea and Rees 2001 montre que chez les adolescents non autistes, le harcèlement intervient surtout au début de l’adolescence, alors que pour les adolescents autistes le harcèlement est encore valable à la fin de l’adolescence, comme le montre une étude de Sterzing et al. 2012 et cela est d’autant plus vrai pour les adolescents autistes avec le moins de compétences sociales.

Cette étude est la première à analyser le harcèlement chez les jeunes adultes autistes à haut niveau de fonctionnement et les résultats rejoignent ceux de Sterling et al.

Les chercheurs ont aussi identifié un taux plus important de harcèlement chez les étudiants qui étaient les plus anxieux socialement. L’étude a permis de déterminer un lien de corrélation entre le harcèlement et l’anxiété sociale. Cela laisse supposer qu’une forte anxiété sociale peut augmenter le risque de harcèlement chez les personnes autistes, ou même que l’intimidation peut aggraver l’anxiété sociale. Le traitement de l’anxiété sociale pourrait donc avoir des avantages en terme de réduction du harcèlement chez les personnes autistes en plus de son objectif principal de réduire les symptômes anxieux.

Une part conséquente de la littérature qui s’intéresse au traitement de l’anxiété chez les jeunes autistes a mis en avant l’efficacité des thérapies cognitivo-comportementales (Lang et al. 2010; White et al. 2010; Wood et al. 2009).

Il est intéressant de constater aussi que dans cette étude, le taux de harcèlement rapporté par les parents et celui rapporté par les étudiants ne sont pas corrélés alors qu’il y a par exemple corrélation par rapport au niveau d’anxiété rapporté par les deux groupes. Plusieurs hypothèses sont envisagées par les chercheurs :

– les étudiants ont rapporté des types de harcèlement moins connus par les parents comme le cyber-harcèlement

– les étudiants étant en train de traverser une période de transition impliquant parfois un éloignement du domicile familial, sont moins enclins à parler à leurs parents des situations de harcèlement qu’ils peuvent vivre.

Cette dernière hypothèse montre bien l’importance qu’il existe à interroger directement les jeunes concernés et non pas que les parents, car cela pourrait entrainer une estimation faussée à la baisse des cas de harcèlement chez les enfants ou les jeunes adultes.

 

Les limites de l’étude

Cette étude sur le harcèlement chez les personnes autistes, en particulier chez les étudiants,comporte plusieurs limites :

  •  la faible taille de l’échantillon (35 personnes)
  • l’influence sur les résultats du fait que l’anxiété soit une comorbidité courante de l’autisme (avec un taux de 50% selon White et al. 2009).
  •  le test de mesure de l’anxiété (MASC) n’est pas spécifique aux personnes autistes et il pourrait fonctionner différemment chez les personnes autistes par rapport à la population générale selon une étude de White et al. 2015

Néanmoins cette étude est la première à mettre en avant la persistance du risque de harcèlement chez les adolescents plus âgés et elle devrait être répliquée afin de voir si les résultats sont les mêmes. L’objectif étant d’agir sur la prévention et l’accompagnement du harcèlement chez les personnes autistes avec une attention spécifique pour les jeunes adultes.

 


Source :

« Brief Report: Bullying and Anxiety in High-Functioning Adolescents with ASD » Gerrit van Schalkwyk, Isaac C. Smith, Wendy K. Silverman, Fred R. Volkmar publiée en mai 2018 dans le Journal of Autism and Developmental Disorders.