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La théorie de l'esprit

La théorie de l’esprit désigne en neuropsychologie, la capacité à interpréter ses propres états mentaux et ceux des autres êtres humains. Elle est considérée comme déficitaire chez les personnes autistes qui rencontreraient des difficultés voir une impossibilité à identifier leurs représentations mentales et celles des autres individus.

C’est le psychologue Simon Baron-Cohen qui a fait émerger cette théorie et ses impactes sur les personnes autistes dans son ouvrage Mindblindness, an essay on autism and theory of mind (La cécité mentale, essai sur l’autisme et la théorie de l’esprit). Il définit la cécité mentale comme suit :

Imagine what your world would be like if you were aware of physical things but were blind to the existence of mental things. I mean of course, blind to things like thoughts, beliefs, knowledge, desires, and intentions which for most of us self-evident-ly underlied behavior
Simon Baron Cohen
Professeur de psychopathologie du développement

Traduction libre : imagine ce que serez votre monde si vous étiez conscient des choses physiques mais que vous étiez aveugle à l’existence des choses mentales. Je veux dire bien sur, aveugle aux choses comme les pensées, les croyances, la connaissance, les désirs et les intentions qui pour la plupart d’entre-nous sont des éléments évidents qui sous-tendent le comportement.

Fonctionnement de la théorie de l'esprit

Baron Cohen reprend comme base la théorie d’Humphrey, qui appartient au courant de la psychologie évolutionniste, et qui pose comme hypothèse que la théorie de l’esprit s’est développée dans l’évolution de l’humanité à partir du moment où les interactions sociales sont devenues plus conséquentes et plus complexes. Pour vivre en groupe organisé, l’homme a dû développer une augmentation rapide et adaptative de l’intelligence sociale. Humphrey emploi la métaphore de l’échiquier social afin de démontrer la complexité des opérations mentales que nécessitent les interactions sociales :

La théorie de l’esprit est donc la capacité à « jouer » une partie d’échec social en prenant en compte les mouvements du partenaire opposé.

Quatre étapes sont nécessaires à la compréhension des états mentaux d’autrui :

La théorie de l'esprit : schéma explicatif des mécanismes qui la composent

La théorie de l'esprit chez les personnes autistes

Simon Baron Cohen reprend les quatre étapes de la représentation des états mentaux (Mindreading) et voit en quoi leur fonctionnement diffère chez les personnes autistes.

Le détecteur d’intention n’est pas mis en cause dans l’autisme, cela signifie que les personnes autistes sont capables d’identifier que les personnes agissent selon des buts et des désirs simples.

Le détecteur de direction des yeux n’est pas non plus mis en cause dans l’autisme, les personnes autistes sont capables d’identifier sur une photographie si une personne les regarde ou si elle regarde dans une autre direction.

Le mécanisme d’attention partagée semble par contre être déficient ou moins efficient chez les personnes autistes : elles ne portent pas attention ou moins attention au regard d’autrui, elles n’essayent pas ou peu de diriger le regard d’autrui en pointant un objet, une direction ou une personne.

La théorie de l’esprit est donc aussi déficitaire chez les personnes autistes. Une manière de tester la théorie de l’esprit chez les enfants est de voir s’ils sont capable de retenir une fausse croyance. C’est le très célèbre test de Sally et Anne. Sally place une poupée à un endroit (endroit A) et plus tard, lorsqu’elle est partie, Anne déplace cette poupée ailleurs (endroit B). Lorsque Sally revient où va t-elle chercher sa poupée ? Les enfants non autistes répondent qu’elle va chercher à l’endroit originel où elle a mis la poupée car ils déduisent qu’elles ne peut pas savoir que la poupée a été déplacée car elle n’était pas présente. Les enfants autistes répondent que Sally cherche la poupée à l’endroit B où elle se trouve effectivement car ils n’arrivent pas à faire la différence entre leur propre savoir (ils savent que la poupée a été déplacée) et le savoir détenu par une tierce personne, en l’occurrence Sally qui n’étant pas présente quand la poupée a été changée de place, ne pouvait pas la chercher à l’emplacement B.

Simon Baron Cohen distingue deux sous groupes au sein des personnes autistes, celles qui ont des difficultés uniquement dans le traitement de la théorie de l’esprit et celles qui ont des déficits dans la théorie de l’esprit et le mécanisme d’attention partagée.

Remise en cause et débat autour de la théorie de l'esprit

Dans un premier temps il est important de noter que le déficit en théorie de l’esprit est surtout valable avant l’adolescence et particulièrement prégnant pour les personnes autistes avec une déficience intellectuelle associée ou présentant un déficit de langage (car la théorie de l’esprit est corrélée au niveau de langue). Pour les personnes autistes présentant un fonctionnement intellectuel non déficitaire, c’est plutôt un déficit dans la prise ne compte de signaux physiques (comme les yeux, les gestes, l’intonation) qui impliquent une intention, ou une émotion chez l’autre.

De plus, des études menées à la fin des années 1990 (Waterhouse et Frein, 1997) montrent que les exercices impliquant la théorie de l’esprit sont réussis par les personnes autistes de haut niveau ou Asperger et échoués par les personnes dysphasiques. Elles ne sont donc pas l’apanage d’un déficit spécifiquement autistique, mais sont corrélées à la maitrise du langage. On peut également ajouter qu’elles ne suffisent pas seules à expliquer les difficultés sociales vécues par les personnes autistes car celles qui réussissent ces tâches peuvent aussi être embarrassées socialement.

Ainsi Laurent Mottron propose un modèle alternatif permettant de comprendre pourquoi les personnes autistes sont plus en difficulté dans les activités de représentation mentale :

Une autre théorie vise à expliquer que les difficultés de représentation des états mentaux chez les personnes autistes ne sont pas dus directement à une absence de théorie de l’esprit mais à une difficulté à traiter différents blocs d’information en même temps et à les hiérarchiser entre eux pour aboutir à une représentation cohérente. Dans ce cas, c’est la manipulation mentale de ces informations en situation complexe (dans une conversation par exemple, où les échanges sont rapides pour une personne autiste) qui va mettre la personne autiste en difficulté.

Idée reçue n°1 : les personnes autistes n’ont pas d’émotion

Les difficultés en matière de théorie de l’esprit pour les personnes autistes ont contribué à créer le préjugé selon lequel elles n’auraient pas d’empathie et/ou pas d’émotion. Cette acception demande quelques explications supplémentaires. L’empathie se définit comme la : «Faculté intuitive de se mettre à la place d'autrui, de percevoir ce qu'il ressent » (Dictionnaire Larousse en ligne). Or, comme nous l’avons vu précédemment, les personnes autistes peuvent avoir quelques difficultés à capter les signaux qui traduisent les émotions d’autrui. Une personne autiste qui regarde peu les yeux de son interlocuteur peut ne pas voir que celui-ci lève les yeux au ciel pendant la conversation, ou s’il le voit, il ne sera peut-être pas capable de l’interpréter dans ce contexte comme un signe d’ennui et continuera la conversation. Souvent, les personnes autistes sont en difficulté avec les signaux subtils, mais peuvent percevoir certains signaux plus basiques et plus expressifs. Exemple : une personne autiste pourrait ne pas voir qu’une personne exprime les prémices de la tristesse, comme le coin de la bouche qui tombe légèrement ou les yeux qui s’humidifient. Par contre, si une personne autiste est assise à côté d’une personne qui pleure à chaude larme, il y a peu de chance qu’elle ne le remarque pas. Aussi, dès qu’elle percevra cet état de tristesse, elle sera en capacité de le partager.

Les personnes autistes partagent les émotions d’autrui à condition qu’elles en soient informées. C’est la perception des émotions qui est déficitaire et non pas leur existence. Il est donc faux de dire que les personnes autistes n’ont pas d’empathie ni d’émotion, mais plutôt que ces deux états mentaux fonctionnent selon des mécanismes qui diffèrent du fonctionnement normal.

Idée reçue n°2 : les personnes autistes n’ont pas de réaction face aux émotions d’autrui

C’est l’image du sociopathe froid, qui est encore véhiculé par certain média. Nous venons de voir que les personnes autistes ont des difficultés plus importantes à détecter les émotions des individus. L’absence de réaction est souvent liée à la non perception de l’émotion et non pas à de l’inaction consciente. Pour reprendre l’exemple de la personne autiste face une personne dont les signaux qui expriment la tristesse sont faible, elle ne va pas percevoir l’émotion « tristesse » et donc continuera à agir sans prendre en compte l’état émotionnel de son interlocuteur. Par contre, si une personne autiste remarque un état émotionnel chez autrui elle va réagir en conséquence et trois possibilités émergent :

  1. la personne voit et comprend l’émotion : elle va trouver dans sa banque de données la réaction appropriée (comme donner une parole réconfortante ou faire un câlin à une personne triste).
  2. la personne voit et comprend l’émotion mais elle n'arrive pas à ajuster son comportement : elle va chercher dans sa banque de données la réaction appropriée. Si elle ne possède pas la bonne information, elle peut ne pas réagir faute de modèle à mettre en œuvre ou agir d'une manière inappropriée (comme envoyer beaucoup trop de texto à une personne après seulement le premier Rendez-Vous amoureux)
  3. la personne voit mais ne comprend pas l’émotion : elle n'a pas appris à quoi correspond l'émotion qu'elle a identifié ou le fait qu'elle puisse varier en intensité selon les circonstances (être triste si on a cassé sa tasse préférée est différent qu'être triste si un être cher est décédé)

Pour les personnes autistes la complexité est de trouver la réaction appropriée aux émotions d’autrui parmi une possibilité infini de situations différentes. Une personne autiste peut savoir qu’il est approprié de faire un câlin à une personne triste, mais ne pas savoir que dans le contexte professionnel, faire un câlin à un collègue triste n’est pas une réaction appropriée.

Sources :

Mindblindness, an essay on autism and theory of mind, Simon Baron Cohen, 1997, MIT Press

L’autisme : une autre intelligence, Laurent Mottron, 2006, Mardaga