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L’histoire de l’autisme telle que définit actuellement débute dans les années 1940 avec les travaux de Léo Kanner et Hans Asperger. Il me semblait important de retracer cette histoire de l’autisme d’en aborder les origines et l’émergence de cette notion ainsi que son évolution jusqu’à nos jours.

Le commencement de l’histoire de l’autisme : Léo Kanner et Hans Asperger

La première fois que l’autisme a été décrit avec des caractéristiques qui correspondent encore en partie à celles en vigueur de nos jours, c’est lorsque Léo Kanner publie son étude « Autsitic disturbances of affective contact » (Les perturbations autistiques des contacts affectifs) en 1943. Dans cet article, il précise que depuis 1938, il porte attention à des enfants dont les comportements diffèrent radicalement de leurs pairs et il propose de développer le détail de ces particularités en rendant compte de 11 cas d’enfants. La suite de son article égrène un après l’autre les comportements de chacun de ces enfants ayant tous en dessous de 11 ans. Son échantillon comporte 8 garçons et 3 filles. Contrairement à la croyance générale qui définie les « autistes de Kanner » comme des personnes autistes avec un retard mental, ca n’est pas le cas de tous les enfants étudiés par Léo Kanner : le cas n°6 Virginia atteint un QI non verbal de 94 à l’échelle de Binet, le cas n°8 Alfred atteint un QI global de 140. Après la présentation des comportements des 11 enfants, Léo Kanner explique leurs particularités et dit que malgré un panel très diversifié d’attitudes :

These caracteristics form a unique « syndrome », not heretofor reported, which seems to be rare enough, yet is probably more frequent than is indicated by the pausity of observed cases. It is quite possible that some of such children have been viewed as feebleminded or schizophrenic.

Traduction libre : Ces caractéristiques forment un syndrome unique, jusqu’à présent non signalé, qui semble être assez rare, encore qu’il est probablement plus fréquent que ce qui est indiqué par la carence des cas observés. Il est tout à fait possible que certains de ces enfants aient été vu comme ayant un retard mental ou  schizophrènes.

Il remarque les caractéristiques suivantes : les enfants sont en grande difficulté pour développer des relations, ils arrivent à interagir plus facilement avec les objets qu’avec les êtres humains. Il note aussi que le langage est non acquis ou acquis avec difficulté et lorsque c’est le cas, il y a une utilisation peu social de celui-ci. Les autres signes qu’il relève à l’époque sont le besoin de sameness (traduction libre : l’absence de changement) et le fait que l’ensemble de ces signes particuliers apparait durant les deux premières années de la vie de l’enfant.

L’histoire de l’autisme montre qu’en parallèle des travaux de Léo Kanner, un autre psychiatre travaille sur l’autisme, presque durant la même année : Hans Asperger. Il publie en 1944 son article Autistic psychopathy in childhood (traduction libre : Les psychopathies autistiques dans l’enfance). A priori ces deux psychiatres ne se sont jamais rencontrés et il est admis que leurs travaux respectifs n’ont pas été en contact à cette période, l’article de hans Aperger se présente exactement comme celui de Léo Kanner. Il y décrit quatre enfants : Fritz, Harro, Ernst et Helmut, puis détaille les schémas de comportement de ces enfants.

Ce sont tous des garçons et Hans Asperger présente leur intelligence comme étant caractérisée par des pics de compétences dans des domaines spécifiques qu’il nomme déjà à l’époque special interests (les intérêts spécifiques). Dans sa description clinique de l’autisme Hans Asperger est souvent bienveillant envers les enfants qu’il a étudié et met en avant ce qu’il considère comme les points positifs de l’autisme au titre desquels il compte :  leur intelligence, leur manière originale de résoudre certains problèmes, leurs intérêts spécifiques, leur goût pour l’art et la philosophy. Il identifie également des caractéristiques qui sont encore aujourd’hui présentent dans les critères diagnostics comme l’absence ou la faiblesse des contacts visuels. Les descriptions fines et précises de ces enfants ainsi que l’analyse pertinente de leurs comportements vont marquer l’histoire de l’autisme.

Hans Asperger montre aussi les difficultés qui peuvent être rencontrées par ces enfants notamment concernant les aspects sociaux :

It has been my aim to show that the fundamental disorder of autistic individuals is the limitation of their social relationships. The whole personality of these children is determined by this limitation.

Traduction libre : Cela a été mon but de montrer que les perturbations fondamentales des personnes autistes est la limitation de leurs relations sociales. La totalité de la personnalité de ces enfants est déterminée par cette limitation.

L’ histoire de l’autisme retiendra dans un premier temps les travaux de Léo Kanner qui ont tout de suite connu un succès international du fait de leur publication en anglais, l’article de Hans Asperger étant en Allemand, il n’a pas immédiatement attiré l’attention de la communauté scientifique. Il a fallu attendre que Lorna Wing, psychiatre britannique, publie en 1981 un article intitulé Asperger’s Syndrome : a Clinical Account pour mettre en avant les travaux d’Hans Asperger. L’article originel d’Asperger ne sera traduit qu’en 1991 par Uta Frith.

Dans les classifications internationales, jusque très récemment, le syndrome d’Asperger était une sous catégorie distincte de l’autisme (F84.5 dans la CIM-10), puis avec le DSM-5 qui est la classification la plus récente, le syndrome disparait au profit du spectre de l’autisme qui précise simplement « avec ou sans retard mental ». Cette disparition du syndrome d’Asperger des classifications a entrainé un débat important entre les chercheurs.

Interprétation psychanalytique VS interprétation biologique des origines de l’autisme

Dans son article, Léo Kanner évoque d’emblée une origine génétique de l’autisme, notamment du fait de la survenue très précoce de ces troubles. Cependant, lorsqu’il évoque le milieu familial, il décrit aussi souvent une sorte de froideur et de distance des parents. Celle-ci pourrait très bien être interprétée sociologiquement par le fait que les familles des 11 enfants étudiés étaient plutôt aisées et qu’à l’époque les personnes issues des milieux aisés avaient une façon plus distante d’exprimer leurs sentiments.

Cependant, de ces deux explications, (une qui attribue des causes génétiques, l’autre qui implique le milieu familial) sont nés deux courants qui n’ont cessé de s’affronter :

  1. un courant issu de la biologie, qui recherche des explications génétiques ou neuro-développementales à l’autisme
  2. la psychanalyse, qui recherche les causes de l’autisme dans une carence affective du milieu familial

L’ histoire de l’autisme veut que ce deuxième courant a longtemps dominé le schéma explicatif de l’autisme en France et a fait beaucoup de mal aux personnes autistes ainsi qu’à leur famille. Les enfants autistes étaient considérés comme malades du fait de la froideur de leur mère. C’est cette distance émotionnelle qui expliquerait que l’enfant développe une carence affective et une impossibilité à se lier à l’autre.

Bruno Bettelheim (psychologue américain d’origine autrichienne) pousse au plus loin cette théorie dans son ouvrage « The empty fortress » (La forteresse vide, 1967), où il essaie de démontrer que l’autisme est dû à un déni de l’existence de l’enfant par ses parents. Une des conséquences dramatiques qu’a eu la diffusion de cette idéologie est que les enfants pouvaient être retirés à leur famille pour essayer d’être soigné avec des méthodes éducatives dont certaines ont aujourd’hui été reconnues comme étant des actes de maltraitance avérés.

Aujourd’hui, grâce aux progrès des neuro-sciences et de la cherche sur l’autisme en général, ces théories ont été révoquées pour leur manque de fondement scientifique. Aucune étude démontrant un niveau de construction scientifique élevé n’a pu corroborer les dires du courant psychanalytique. Les outils de diagnostic internationaux ne s’appuient pas non plus sur ce courant.

En 2012 la Haute Autorité de Santé, qui est une autorité publique indépendante (API) a désavoué les théories psychanalytiques dans sa publication des Recommandations des Bonnes Pratiques Professionnelles (RBPP) sur l’Autisme et autres troubles envahissants du développement, interventions éducatives et thérapeutiques coordonnées chez l’enfant et l’adolescent. Dans la paragraphe « 4.2. Interventions personnalisées globales et coordonnées » dans la sous section « interventions globales non consensuelles » il est dit que :

L’absence de données sur leur efficacité et la divergence des avis exprimés ne permettent pas de conclure à la pertinence des interventions fondées sur les approches psychanalytiques ; la psychothérapie institutionnelle.

Malgré des efforts de communication, ces théories persistent encore en France, donc cela ne sera pas vain de rappeler sur ce site que l’autisme n’est pas une maladie, c’est un trouble neuro-développemental. Cela signifie que durant la grossesse il y a des modifications dans la construction du cerveau du fœtus et que les enfants naissent autistes, c’est à dire avec un cerveau qui fonctionne différemment.


Sources :

Autistic disturbances of affective contact, Léo Kanner, 1943

Autistic psychopathy in childhood, Hans Asperger, 1944

Autisme comprendre et agir, Bernadette Rogé, 2008, Dunod

A la découverte de l’autisme, ouvrage collectif sous la direction de Dominique Yvon, 2014, Dunod

La RBPP « Autisme et autres troubles envahissants du développement, interventions éducatives et thérapeutiques coordonnées chez l’enfant et l’adolescent », 2012, HAS et Anesm