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Merci à Magali Pignard pour sa relecture, ses corrections et modifications qui ont permis d’améliorer la qualité du texte que je vous livre.

Il existe aujourd’hui un biais de genre dans l’autisme qui amène le monde de la recherche à s’intéresser aux caractéristiques féminines de l’autisme et à l’existence d’un phénotype particulier qui concernerait les femmes.

Ce biais de genre est liée à la manière dont les études autour de l’autisme se sont construites. Les premiers chercheurs à avoir été reconnu pour leur travail sur l’autisme sont les psychiatres Hans Asperger et Léo Kanner. Les différentes études de cas étaient principalement effectuées sur des sujets masculins. Sur les 4 personnes étudiées par Hans Asperger dans son fameux article Autistic psychopathy in chilhood, tous les sujets étaient des jeunes garçons. Dans l’article de Léo Kanner Autistic disturbances of affective contact sur les 11 cas étudiés, seuls trois étaient des jeunes filles.

Depuis cette période, la plupart des études incluant des personnes autistes portent essentiellement sur des sujets masculins. Les comportements décrits dans la littérature sont donc principalement issus d’observation de jeunes garçons ou hommes autistes.

C’est une problématique clé que les instances scientifiques et politiques doivent chercher à comprendre. Ces dernières années, plusieurs études ont émergé et la théorie d’un phénotype autistique propre aux particularités féminines commence à recueillir de plus en plus de preuves étayées par différentes recherches.

Cependant, les recherches portant sur l’influence du genre lors de la manifestation des comportements autistiques et les caractéristiques des femmes autistes n’en sont qu’à leur commencement. Des résultats parfois contradictoires émergent : les recherches de Hartley and Sikora 2009 ont démontré que les femmes avaient de plus grandes difficultés sociales, les recherches de McLennan et al. 1993 ont montré qu’elles en avaient moins et les recherches de Mandy et al. 2012 ont montré des difficultés de communication égales entre les hommes et les femmes.

Ce qui a été par contre démontré par la recherche en tant que spécificité féminine de l’autisme, c’est une meilleure capacité des femmes à mettre en œuvre des stratégies de camouflage dans les situations sociales afin de masquer leurs difficultés (Kenyon 2014, Baldwin and Costley 2015; Cridland et al. 2014; Mandy and Tchanturia 2015; Rynkiewicz et al. 2016).

L’article se compose de trois parties :

1. Le sous diagnostic des femmes autistes
2. Le phénotype autistique féminin
3. Les femmes autistes et la notion de camouflage social

1. Le sous diagnostic des femmes autistes

Selon une étude de Simon Baron Cohen et son équipe en 2015, du fait de leur capacité à camoufler leurs traits autistiques, les femmes ont, de manière générale, un risque plus élevé de ne pas être diagnostiquée comme étant autiste alors même qu’elles relèveraient d’un diagnostic d’autisme. Pourtant, un accès au diagnostic permet de mettre en place des interventions appropriées, d’avoir accès à plus de services, de réduire le jugement des proches porté sur les comportements de la personne, de diminuer l’auto-critique des personnes vis-à-vis d’elles-mêmes, d’accompagner la création d’une identité positive.

Si l’on s’intéresse aux sex-ratios, les études montrent une prévalence importante du nombre de garçons par rapport aux filles : de 4 à 5 garçons pour une fille dans le DSM 4 et 3 à 4 garçons pour une fille dans la CIM-10. Une étude de 2005 de Fombonne fait état de 4 garçons pour une fille. Ce ratio serait porté à 1 femme pour 9 hommes en ce qui concerne l’autisme sans déficience intellectuelle (type syndrome d’Asperger). Ces chiffres entraînent un débat dans la communauté scientifique : ces chiffres reflètent-ils la réalité, ou bien les méthodes de diagnostic sont-elles inadaptées pour saisir l’expression de cette condition chez certains profils féminins ? Une étude récente tend à confirmer cette dernière hypothèse (Rutherford et al. 2016) et montre qu’à l’âge adulte le sex-ratio évolue jusqu’à deux femmes pour un homme. Cela suggère que la condition autistique n’est pas repérée chez les filles et est décelée à l’âge adulte lors de diagnostics tardifs. D’ailleurs, selon une étude de Begeer et al 2013 (Begeer S, Mandell D, Wijnker-Holmes B, et al. 2013 Sex differences in the timing of identification among children and adults with autism spectrum disorders. Journal of Autism and Developmental Disorders 43(5): 1151–1156), les femmes sont diagnostiquées 4.3 années plus tard que les hommes. L’écart est encore plus important dans le cadre des femmes autistes sans déficience intellectuelle.

Plusieurs raisons expliquent ce sous diagnostic des femmes autistes :

  • les pathologies secondaires sont prises pour la pathologie principale. Ex : quand la dépression, le trouble de la personnalité, les crises d’angoisse masquent l’autisme ;
  • Les hommes et les femmes autistes sont comparés sur les critères classiques de l’autisme, ceux retenus par la CIM-10 ou le DSM-5. Or ceux-ci sont basés sur l’observation des comportements d’individus largement masculins ;
  • des outils de diagnostic inadaptés aux particularités féminines. Deux études présentées lors de la journée internationale de la recherche sur l’autisme à San Francisco (2017) comparent comment filles et garçons autistes réalisent le très répandu test appelé ADOS. Durant ce test, le clinicien propose à l’enfant d’effectuer une série de tâches et évalue le comportement de l’enfant. Une de ces études révèle que l’ADOS a un résultat souvent négatif lorsqu’il est réalisé sur des filles autistes que sur des garçons.

Le constat du sous-diagnostic des femmes autistes a amené la communauté internationale à investiguer l’existence d’un phénotype autistique féminin, c’est-à-dire à s’interroger sur le fait que les caractéristiques de l’autisme s’exprimeraient différemment chez les femmes que chez les hommes.

La dyade autistique qui représente les deux critères de l’autisme validés par le DSM 5 est composée des  troubles de la communication et des interactions sociales ainsi que des intérêts spécifiques et comportements répétitifs. Ces deux critères sont les éléments principaux qui permettent de poser un diagnostic d’autisme. Il faut donc que ces deux éléments aient pu être évalués chez la personne pour qu’elle obtienne un diagnostic.

Chez les filles et femmes autistes les critères de l’autisme sont les mêmes que chez les hommes mais se déclinent sous des formes moins immédiatement perceptibles :

  • les troubles de la communication et des interactions sociales : deux études (Head et al. 2014; Sedgewick et al. 2015) montrent que les filles/femmes autistes expriment une plus grande motivation sociale et une capacité plus importante à nouer des relations d’amitiés en apparence traditionnelles ;
  • les intérêts restreints et les comportements répétitifs : lors de la journée internationale de la recherche sur l’autisme en 2017 des chercheurs ont présenté une étude une étude basée sur les enregistrements vidéos des passations de 22 garçons et 22 filles autistes (test ADOS), tous âgés entre 9 et 15 ans. Ces enfants ont tous une intelligence dans la moyenne et des compétences verbales dans la moyenne. Ils ont trouvé que les filles autistes sont plus sujettes à l’anxiété et la dépression que les garçons et sont plus susceptibles de parler des intérêts restreints dans les relations en particulier avec les animaux. Par contraste les garçons autistes ont plus d’intérêts non sociaux, comme les puzzles ou les jeux sur ordinateur. Tony Attwood (2007) a remarqué cette différence de genre dans le choix des thématiques des intérêts spécifiques des personnes autistes. Les filles ou les femmes ont souvent un centre d’intérêt qui n’est pas inapproprié à leur âge et dont le sujet est assez commun, par exemple une fille qui aime les poupées Barbies. C’est par contre soit l’utilisation des objets ou le temps consacré au sujet d’intérêt qui vont le faire différer de la norme. Cette petite fille qui aime les poupées Barbies, peut en collectionner un nombre plus important que ses copines du même âge. De plus elle ne va pas s’en servir pour créer du lien et partager avec ses amies, elle peut les aligner, les habiller, reproduire des scènes de film, mais le jeu est rarement l’occasion d’entrer en contact avec un pair. Les filles et les femmes sont aussi plus attirées par les mondes alternatifs : heroic-fantasy, science-fiction, paranormal… Les intérêts spécifiques des femmes peuvent aussi plus facilement les amener à compenser la notion d’intuition sociale qui leur manque (dû à la théorie de l’esprit) en regardant par exemple beaucoup de séries télévisées ou lisant des livres de sociologie et de psychologie pour comprendre davantage le fonctionnement des individus.

La dyade autistique qui permet de poser le diagnostic d’autisme est bien présente mais elle s’exprime différemment chez certains profils féminins. Elle prend une forme et des caractéristiques qui ne sont pas celles rencontrées habituellement par les psychiatres et cela contribue au sous diagnostic des femmes autistes.

Schéma explicatif du sous diagnostic des femmes autistes

2. Le phénotype autistique féminin

À noter que toutes les femmes autistes ne présentent pas ce phénotype, tout comme le fait que des hommes autistes présentent ce profil. Ce phénotype est une tendance, observée particulièrement chez les femmes.

Les recherches menées sur les femmes autistes ont pu permettre de déterminer un « profil-type » qui comprend plusieurs points :

  1. la difficulté à reconnaitre l’autisme chez les femmes 

« Tu n’es pas autiste » : les troubles associés à l’autisme sont perçus comme étant la pathologie principale : anxiété, dépression, troubles alimentaires. Ils sont « la partie émergé de l’iceberg ». Par exemple un médecin généraliste ou psychiatre va diagnostiquer une dépression, sans voir qu’elle est liée aux difficultés sociales ou à l’isolement induit par l’autisme. Le diagnostic de dépression va empêcher de voir la condition autistique de la personne.

Quand les personnes évoquent la possibilité d’un syndrome d’Asperger avec leur médecin, celui-ci peut négliger ou nier cette possibilité. Ce déni provient souvent d’une mauvaise connaissance que les médecins ont des différentes formes que peut prendre l’autisme, alors que les troubles associés sont eux très bien connus. Les professionnels de santé sont parfois imprégnés par les images médiatiques d’autistes « sévères » non verbaux ou de génies savants.

Il y a également un préjugé concernant le fait que les femmes ne seraient pas touchées par l’autisme et que cela resterait une condition exclusivement masculine. Si cette croyance tend à diminuer chez les spécialistes de l’autisme, elle reste cependant prégnante chez les interlocuteurs de premier plan dans le repérage, comme les professeurs, les personnels de crèche ou les médecins traitants. S’il y a bien statistiquement plus d’hommes que de femmes concernés par le phénomène, nous avons vu précédemment qu’une partie de la population féminine était sous diagnostiquée, faussant ainsi ces chiffres.

Les filles autistes ont souvent un comportement effacé à l’école, et sont décrites comme timides, sages ou calmes par les enseignants. Les femmes/filles ont des difficultés plus internalisées (dépression, anxiété) et les hommes/garçons des difficultés plus externalisées (troubles du comportement, impulsivité, TDAH). Les comportements des filles étant moins perturbateurs à l’école, elles passent plus inaperçues auprès du corps enseignant. Mais maintenir ce comportement en public entraine souvent d’importants effondrements émotionnels lors du retour à domicile.

Les femmes interrogées dans les études regrettent de n’avoir pas connu leur diagnostic avant car cela aurait pu les prémunir de certains dangers en sachant qu’elles sont crédules.

  1. la capacité à ne pas montrer ses caractéristiques autistiques

« Prétendre être normale ». La plupart des femmes autistes expriment le fait que durant l’enfance, même si les enseignants ne remarquaient pas leurs difficultés, les autres enfants pouvaient le sentir/voir/percevoir. Cela entraine souvent une forte volonté des femmes autistes à correspondre à l’image qui est attendue d’elles. Elles développent donc des stratégies pour paraitre « normales » en dépit du coût énergétique important occasionné par le fait de maintenir les apparences.

Les femmes autistes disent souvent porter un masque ou incarner un personnage en société. Pour apprendre comment se comporter elles mettent au point plusieurs techniques :

  • apprendre des modèles médiatiques : apprendre comment fonctionnent les personnes et les imiter sur la base de séries télévisées, de livres ;
  • la consommation d’alcool qui agit comme un anxiolytique et permet de se sentir plus à son aise parmi les gens ;
  • l’imitation des pairs : les femmes autistes rapportent souvent « prendre » naturellement les accents, les tics de langage ou la gestuelle de leur interlocuteur.

Pour « prétendre être normale » les femmes autistes développent ce que les chercheurs appellent le coping ou camouflage social. Cette notion sera développée de manière détaillée plus bas et amène les psychiatres rompus à qualifier les femmes autistes de « caméléons ».

  1. la passivité et la crédulité des femmes autistes

« C’est de ta faute ». Beaucoup de femmes autistes rapportent avoir eu un comportement passif qui débouche dans 9 cas sur 14 à des abus sexuels (S. Bargiela, R. Steward, W. Mandy, 2016). Les femmes n’ont pas osé refuser les rapports sexuels car elles pensaient que c’est ce qui était attendu d’elles et qu’elles n’avaient pas la possibilité de refuser. Une autre raison qui met les femmes en difficulté face aux agressions est l’incapacité à déceler les intentions des autres, en particulier ne pas savoir si un homme est sexuellement attiré ou s’il cherche une relation amicale. Du fait d’un déficit en théorie de l’esprit, les femmes ne captent pas les signaux (regards, gestes, intonation…) qui leurs permettraient de déterminer la nature de la relation souhaitée par l’homme.

La plupart de ces jeunes filles ou femmes ont aussi été harcelées à l’école et même lorsque cela était connu par le corps enseignant, les professeurs ont tendance à expliquer ce harcèlement par le comportement «anormal» des filles autistes, leur demandant de faire plus d’effort pour être normale.

Parce qu’elles ont été abusées sexuellement ou parce que des personnes ont profité de leur naïveté, les femmes autistes apprennent au fur et à mesure de leur vie à dire « non », à refuser certaines situations quand elles ne leur conviennent pas. C’est un apprentissage qui n’a rien de naturel et qui se fait souvent avec un coach, que ce soit un professionnel éducatif (éducateur spécialisé, psychologue) ou un pair.

  1. La construction de l’identité de la femme autiste et les stéréotypes de genre

« Remise en cause des stéréotypes de genres ». Beaucoup de femmes autistes disent ne pas se reconnaitre dans les rôles classiques attribués aux genres. Le fait de ne pas correspondre aux rôles qui sont attendus, que ce soit volontaire ou par incompréhension, entrainent des difficultés relationnelles en amour ou en amitié. Les femmes autistes rapportent avoir eu des difficultés à se faire des amies de même sexe durant l’enfance et surtout à l’adolescence et avoir eu un contact plus aisé avec les garçons ou les jeunes hommes du fait d’une communication plus directe et moins sujette aux implicites. Durant les démarches diagnostiques ou une fois le diagnostic validé, elles créaient des amitiés virtuelles avec des pairs de même condition. Les forums ou les blogs d’autres femmes autistes sont souvent l’occasion pour ces femmes de partager leurs ressentis, leurs impressions et d’essayer de construire une identité positive.

À ce titre les relations dématérialisées sont plus simples et génèrent moins d’anxiété car les réponses peuvent être différées et réfléchies et il n’y a pas la pression de la communication non-verbale.

3. Les femmes autistes et la notion de camouflage social

Ces dernière années la notion de camouflage social ou de coping a été mise en lumière par les chercheurs (Attwood 2007; Gould and Ashton-Smith 2011; Kopp and Gillberg 2011; Lai et al. 2011; Wing 1981).

Le camouflage social est la différence entre la manière d’être des gens en contexte social, et leur vécu interne.

Il est mis en place pour plusieurs raisons :

  • cacher les comportements liés à l’autisme ;
  • mettre en place des techniques conscientes ou inconscientes pour apparaitre plus socialement compétente ;
  • éviter que les autres ne voient les difficultés sociales.

La notion de camouflage développée dans cette partie n’est pas l’apanage des femmes. Les hommes autistes utilisent des stratégies afin de masquer les comportements les plus embarrassants socialement qui sont liés à l’autisme. Cependant ils y arrivent généralement avec moins de succès et ce phénomène est plus répandu chez les femmes.

Tony Attwood (2007) montre que les femmes arrivent à imiter des personnes non autistes en situation sociale, donnant l’impression d’une certaine aisance, mais si celles-ci sont placées dans un environnement différent sans y avoir été préparées les échanges sociaux deviennent une réelle difficulté.

Les femmes autistes qui sont diagnostiquées tardivement ont toujours eu le sentiment d’être différentes mais ont minimisé cette différence au fil du temps (Holliday Willey 2015).

Traduction d’un schéma de l’article : Putting on my best normal, Laura Hull, K. V. Petrides, Carrie Allison, Paula Smith, Simon Baron‑Cohen, Meng‑Chuan Lai3, William Mandy, 2017
  1. les motivations qui entrainent le camouflage social : « cachée à la vue de tous »

Les personnes autistes mettent en place le camouflage social afin de répondre aux attentes sociales de la population générale et pouvoir être acceptées de celle-ci.

Le camouflage des caractéristiques de l’autisme est particulièrement nécessaire pour atteindre un niveau d’employabilité correct et accéder à un poste. C’est aussi le moyen pour les femmes autistes qui se font harceler à tous les âges de la vie de pouvoir éviter ces situations dangereuses.

Une autre motivation décrite par les femmes autistes pour expliquer leur camouflage est le souhait de créer des connexions avec les autres êtres humains, le désir de nouer des relations d’amitié ou d’amour.

La première condition pour que les personnes autistes puissent mettre en place des techniques de camouflage est qu’elles se rendent compte des différences entre leur comportement et celui attendu, soit parce qu’elles l’observent elles-mêmes, soit parce leur entourage le leur font remarquer.

  1. La définition du camouflage : « mettre son plus beau costume de normalité »

Le camouflage social pratiqué par les personnes autistes, en particulier les femmes autistes comprend deux mécanismes : le premier consiste à masquer les caractéristiques de l’autisme, le second consiste à compenser les compétences sociales absentes ou moins performantes que chez les personnes non autistes.

Masquer « je me cache derrière ce que les gens veulent voir » : cela englobe les aspects du camouflage qui visent à cacher les caractéristiques autistiques et à développer différents personnages qui sont utilisés en situation sociale. Ce besoin résulte du fait que les comportements qui découlent des caractéristiques autistiques ne sont pas considérés comme acceptables en société. Par exemple : les particularités sensorielles sont maintenant reconnues comme une caractéristique à part entière de l’autisme. Pour autant il n’est pas acceptable en société qu’une personne ait besoin de se balancer sur elle-même afin de stimuler son sens vestibulaire. En ce sens les personnes autistes sont souvent amenées à masquer ces comportements afin de ne pas être déconsidérées.

Quasiment tout le monde fait des petits ajustements pour se conformer au mieux aux normes sociales, mais les femmes pratiquant le camouflage peuvent aller jusqu’à jouer un rôle.

Elles miment ainsi consciemment ou non les personnes en face d’elles lors des échanges ou elles prennent exemple sur des personnages de fiction.

 Compenser, « dépasser ce que la nature m’a donné » : il s’agit mettre en place des stratégies conscientes pour combler les difficultés de communication, notamment la communication non verbale.

  • se forcer à initier et/ou maintenir le contact visuel
  • penser à mettre les bonnes expressions faciales sur son visage
  • penser à faire les bons gestes avec les mains et les bras lors d’une conversation

Cela concerne aussi les aspects verbaux de la conversation, surtout pour les conversations anodines « small talk » :

  • poser des questions à l’autre pour le faire parler. Cela permet de minimiser le temps de parole de la personne autiste donc celle-ci à moins de chance de commettre un impair (monopoliser la conversation, apporter une réponse erronée, un sujet de conversation inadapté…) ;
  • éviter de parler trop de soi ou de sa vie privée. Cela permet de ne pas montrer le décalage qui peut exister entre le style de vie des personnes non autistes et celui des personnes autistes. Par exemple, les collègues racontent leur weekend durant lequel ils ont été manger au restaurant avant d’aller au cinéma alors que la femme autiste a passé son weekend à lire des livres et rechercher des informations sur sa thématique préférée, ou à aligner des dés de différentes couleurs. Certaines activités de loisir sont considérées comme plus légitimes que d’autres ;
  • des femmes autistes ont des scripts dans la tête : elles préparent leurs conversations avant qu’elles n’aient lieu : sujets de conversation, anecdotes, blagues à insérer, questions à poser. Elles incluent les réponses potentielles des interlocuteurs et la manière dont elles pourraient rebondir dessus. Il y a un véritable travail de structuration du dialogue.
  1. les conséquences du camouflage social : « je tombe en morceaux »

La conséquence la plus décrite par les femmes autistes est l’épuisement qui suit les phases de camouflage. Cette technique d’adaptation est émotionnellement, physiquement, psychologiquement très couteuse en énergie car cela requière une concentration intense, un contrôle de soi et un degré d’organisation qui entrainent un malaise et un inconfort important pour la personne. Plus la durée de la phase de camouflage est longue, plus elle entraine de la fatigue, avec souvent la nécessité d’avoir des phases de récupération à la suite.

En plus de la fatigue, le processus de camouflage génère du stress et de l’anxiété. Les femmes autistes ont peur que le camouflage ne soit pas efficient et que les personnes non autistes remarquent les difficultés/comportements inadaptés.

Une autre conséquence du camouflage est que la femme autiste change la manière dont elle se présente elle-même, elle ne correspond plus à la vision souvent stéréotypée qu’ont les personnes par rapport à l’autisme. Cela peut avoir des conséquences négatives : leur diagnostic peut être remis en cause car elles ne « paraissent » pas autistes, elles peuvent ne pas recevoir les aides appropriées car leurs difficultés ne sont pas visibles, elles sont obligées de maintenir leur niveau de camouflage pour conserver les avantages que cela leur a apporté (travail, relations sociales…).

La dernière conséquence observée qui est liée au camouflage est le rapport à leur identité que les femmes autistes développent. Elles sont souvent en représentation d’elle-même au lieu d’être elles même et ont donc le sentiment de manquer d’authenticité. Les femmes autistes peuvent avoir un diagnostic validé et se sentir appartenir à une communauté de personne autiste tout en continuant à cacher leurs comportements autistiques. Cela entraine un sentiment de trahison de la communauté à laquelle elles appartiennent. Dans certains cas elles assimilent le fait de jouer un rôle à de la tromperie et cela mène vers une forme d’isolement.

Toutes les recherches sur le phénotype féminin de l’autisme n’en sont qu’à un stade embryonnaire et doivent être approfondies afin comprendre comment ce mécanisme se construit. Il y a aujourd’hui peu d’enquêtes quantitatives qui permettent de mesurer le nombre de personnes autistes, y compris les femmes autistes concernées par le camouflage. Il n’existe pas non plus d’enquête qualitative et quantitative qui permettrait de voir si le phénotype autistique féminin s’applique aussi pour les femmes autistes ayant une déficience intellectuelle.


Sources :

Asperger’s syndrome : the complete guide, Tony Attwood, 2007, Jessica Kingsley Publisher

Pretending to be normal, Liane Holliday Willey, 1999

Putting on my best normal, Laura Hull, K. V. Petrides, Carrie Allison, Paula Smith, Simon Baron‑Cohen, Meng‑Chuan Lai3, William Mandy, 2017, Journal of autism and developmental disorders

La référence ci-dessus est également disponible en français car elle a été traduite en intégralité par Jérôme Alain Lapasset. J’en profite pour le remercier pour ce travail minutieux qui permet une meilleure accessibilité à l’information sur les femmes autistes.

The Experiences of Late-diagnosed Women with Autism Spectrum Conditions: An Investigation of the Female Autism Phenotype, Sarah Bargiela, Robyn Steward, William Mandy, 2016, Journal of autism and developmental disorders

Invisible at the end of the spectrum : shadows, residues, ‘bap’, and the female aspergers experience, Dr. A. RuthBaker, 2004

Diagnostic tests miss autism features in girls, by Nicholette Zeliadt, May 2017, Spectrum News